« J’aime les battants, et dans cette ville il y en a! »

Propos recueillis par
Justin Paroz et Giovanni Sammali

Le 24 janvier 2022, Patrick Pruniaux a repris Girard Perregaux et Ulysse Nardin au géant du luxe Kering. Un signal fort de sa confiance dans l’avenir de ces marques et de La Métropole Horlogère.

 

Rue Numa Droz 136, dernière étage. Ambiance feutrée dans la manufacture Girard Perregaux et Ulysse Nardin. Un pas énergique : Patrick Pruniaux entre dans son bureau. L’homme impressionne. Pas seulement par sa stature. Il dégage une énergie et une confiance… de colosse. Avec son rachat au groupe Kering des deux fleurons horlogers qu’il dirigeait depuis 2017, il renoue avec la tradition des grands patrons horlogers. « La remarque me flatte », sourit-il. Il livre ici l’une de ses rares grande interview, la 3ème seulement depuis le 24 janvier.

 

Ce rachat, un coup de poker ?
Absolument pas! C’est un mélange de passion, de respect de l’héritage des deux maisons, et de détermination. Les reprendre était une chose, il faut maintenant leur donner un élan fort et du temps, c’est dans ces conditions qu’elles s’expriment le mieux. Pas question de coup de poker quand on a autant de salariés. Comme Kering, les investisseurs qui m’ont suivi – « un nombre très, très limité», précise-t-il – veulent nous laisser le temps de croitre le mieux possible. Kering, qui nous accordait déjà une grande indépendance, nous permet de prendre les clés dans de bonnes conditions. Nous avons pu réengager une trentaine de personnes en 2021 et cette tendance se poursuit à tous niveaux (ndlr: il y a eu près de 100 licenciements en 2020). Avec plaisir, nous avons retrouvé d’anciens collaborateurs. Nous avons de beaux talents. Les gens viennent pour l’environnement stimulant, pour s’amuser, pour la place accordée à la créativité, aux idées. Si nous prospérons, c’est grâce aux esprits les plus aventureux qui nous ont rejoints.

 

Que pouvez-vous nous dire des prochains mois ?
Les signes sont bons. Le marché change aussi: le marché se déglobalise et la parole est aux indépendants. Des clients viennent même rencontrer l’horloger qui a monté leur montre. Est-ce que je nous sens de taille à défier les titans horlogers en action dans cette ville? J’admire la cohérence et la qualité du travail fourni par certains. Je n’en crois pas moins en notre succès : nous ne sommes pas en concurrence directe. Ils nous permettent de prendre conscience de qui on est, et de mieux définir nos marques pour le consommateur. La montre connectée? Elle n’est pas tout: cela fait longtemps que je pense que la montre automatique a un avenir formidable. Je vois des bataillons de jeunes s’intéresser à nos pièces, et même devenir collectionneurs.

 

À quoi tient cet engouement ?
Il vient de la capacité à fonder de l’authenticité, de se nourrir de son passé. Nos nouveaux musées à La Chaux-de-Fonds (réd: GP) et au Locle (réd: UN) nous permettent de célébrer notre héritage. Je ne suis pas dans le délire de créer à tout prix de nouvelles collections. On a des produits iconiques, mon but est qu’ils le deviennent plus encore. Les plus beaux objets sont atemporels: la Porsche 911, notre Laureato…

 

Coacher deux équipes à la fois ne rend pas schizophrène ?
Oui. Et paranoïaque (rires). On a deux équipes chevronnées au front (réd: vente et marketing). Il y a une saine compétition. La marque, c’est eux et l’identité entre les deux marques est ainsi conservée.

 

Frédéric Arnault à la tête de TAG Heuer a 25 ans. Impressionné ?
Je le connais personnellement. L’âge n’est pas un problème, si on a le talent et l’envie. Il n’y a pas de recette : dans notre comité de direction, la plus jeune, Clémence Dubois, 31 ans, est cheffe produit et marketing de Girard-Perregaux. Mathieu Haverlan, directeur commercial chez Ulysse Nardin a 35 ans. Et voyez Jean-Claude Biver, qui relance une nouvelle marque à 72 ans !

 

 

Je n’ai jamais été aussi heureux professionnellement

« J’aime la différence, j’aime les challengers, et dans cette ville il y en a!» Dans son discours, tout ce que l’on peut attendre d’un grand patron: force de conviction, enthousiasme, dynamisme, motivation et énergie. Mais pas seule- ment: Patrick Pruniaux a aussi de l’humilité.

« Aujourd’hui, on vit dans un monde d’un tel niveau de complexité qu’un cerveau ne peut pas réussir seul. Il faut savoir allier business et aventures, rencontres humaines, sport.» Un défi qui anime ce sportif, ancien lieutenant parachutiste (nldr: il y a dans son bureau un poster des «paras » coloniaux !) Inarrêtable ? « Comme mes équipes, je suis dans un rythme où je dois freiner et canaliser mes idées: j’en ai trop! Faire c’est facile, mais il s’agit de chercher l’excellence, de savoir être créatif.»

Charismatique, il précise que sa vision, économique et non pas financière, porte très loin. «Mes équipes planchent à l’horizon 2026. Mon agenda personnel va encore plus au-delà. Je pense occuper le dernier emploi de ma carrière… Là, je n’ai jamais été aussi heureux professionnellement Si dieu me donne vie, je me vois faire comme mon père: il a 82 ans… et vient de prendre sa retraite.» Après TAG Heuer, pour LVMH, puis Apple, où j’avais tout pour plaire côté CV, j’ai réalisé être meilleur pour diriger un commando que pour faire partie d’une armée. Et pas besoin de business model. Si on est juste dans la créativité et l’émotion, la taille n’importe plus. Ce qui m’importe, c’est de créer une grosse adhésion de mes équipes sur l’ambition. L’envie collective fait toute la différence.»

 

 

Ancrage, terroir et authenticité

Patrick Pruniaux a foi en La Chaux-de-Fonds, qu’il a aimée au premier coup d’oeil. « Ado, je rêvais d’être moniteur dans une station de ski. En arrivant chez TAG Heuer à La Chaux-de-Fonds… j’ai cru que je réalisais ce rêve ! Depuis, j’ai de novembre à mars mes skis de fond dans ma voiture. » Attaché à la Métropole horlogère, il est sûr qu’elle va prospérer. « Dans les dix ans à venir, La
Chaux-de-Fonds et Le Locle vont connaitre un renouveau, un essor fantastique, tout comme Girard Perregaux et Ulysse Nardin. La Chaux-de-Fonds est une ville qui offre des perspectives, rien qu’avec ses offres immobilières imbattables. Et sa notoriété horlogère ne cesse de croitre. » Un plus aussi pour ses deux marques qu’il veut ancrer plus encore dans le tissu chaux-de-fonnier. « Je l’ai dit sur la scène de l’Heure Bleue lors de la Biennale du Patrimoine Horloger : La Chaux-de-Fonds n’est pas Genève mais elle a une âme particulière : plus accueillante, sincère et authentique. » Authenticité, patrimoine, émotion, terroir : autant de termes que Patrick Pruniaux qui habite au bout du lac Léman, utilise pour sa ville d’adoption. Son challenge actuel : y faire venir ses clients internationaux sans perdre de temps – « l’aéroport des Eplatures est à cet égard un atout » – mais surtout pouvoir ensuite les retenir ici dans les hôtels chaux-de-fonniers, qu’il aimerait voir se développer. « Plus l’offre hôtelière sera premium, mieux ça sera. On travaille d’ailleurs de plus en plus avec le Conseil communal – nous avons partagé un déjeuner il y a peu – pour faire découvrir aussi les fleurons de la ville à nos clients. » Un ancrage local très fort de Girard Perregaux, Ulysse Nardin, positif aussi pour la ville.

Deux fleurons et des chiffres

  • 345 ans : âge cumulé des 2 marques
  • 2 musées à La Chaux-de-Fonds (GP) et au Locle (UN)
  • 1 manufacture intégrée
  • 13 maîtres horlogers + 1 horloger prototypiste dans l’atelier Haute Horlogerie UN et GP
  • 50 horlogers et opérateurs chez UN et GP au total
  • 9 Collections (5 chez GP, 4 chez UN)
  • 500 points de vente dans le monde
  • 200 à 500 (et plus): composants d’une montre à grandes complications
  • 5 h : temps d’assemblage de la Blast Moonstruck d’Ulysse Nardin
  • De qques milliers de frs à un demi-million et plus: gamme de prix GP et UN.
  • 3 ponts d’or: la griffe Girard-Perregaux
  • 6736 (en 130 ans): prix et certificats (18 médailles d’or) des chronos de marine Ulysse Nardin
  • CHF 400’000.- : prix de la Royal Ruby Tourbillon diamants (UN)
  • CHF 222’000.- : prix de la 3 ponts Esmeralda Tourbillon (GP)
  • CHF 1,9 mos : Planetarium Tri-Axial Tourbillon de Cristiano Ronaldo

Deux fleurons et des chiffres

  • 345 ans : âge cumulé des 2 marques
  • 2 musées à La Chaux-de-Fonds (GP) et au Locle (UN)
  • 1 manufacture intégrée
  • 13 maîtres horlogers + 1 horloger prototypiste dans l’atelier Haute Horlogerie UN et GP
  • 50 horlogers et opérateurs chez UN et GP au total
  • 9 Collections (5 chez GP, 4 chez UN)
  • 500 points de vente dans le monde
  • 200 à 500 (et plus): composants d’une montre à grandes complications
  • 5 h : temps d’assemblage de la Blast Moonstruck d’Ulysse Nardin
  • De qques milliers de frs à un demi-million et plus: gamme de prix GP et UN.
  • 3 ponts d’or: la griffe Girard-Perregaux
  • 6736 (en 130 ans): prix et certificats (18 médailles d’or) des chronos de marine Ulysse Nardin
  • CHF 400’000.- : prix de la Royal Ruby Tourbillon diamants (UN)
  • CHF 222’000.- : prix de la 3 ponts Esmeralda Tourbillon (GP)
  • CHF 1,9 mos : Planetarium Tri-Axial Tourbillon de Cristiano Ronaldo

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