Expert de l’Afghanistan, le politologue Olivier Roy a conquis le Club 44. Où s’est invitée la crise en Ukraine…
L’Afghanistan, tombeau des Empires. Pays sublime et meurtri, au cœur d’un jeu permanent d’influences étrangères et d’interventions armées. De l’Empire britannique à l’occupation soviétique en passant par l’intervention américaine et la prise du pouvoir par les Talibans en 2021, le politologue Olivier Roy a livré mardi au Club 44 une analyse sans concessions de l’échec du projet américain en Afghanistan. « Il n’y avait pas de stratégie à long terme quand les Etats-Unis sont intervenus en 2001. La seule ambition était d’éliminer Ben Laden et de renverser le régime taliban ». Conséquence, l’échec cuisant du state building, ce concept américain qui consiste à construire un État à renforts de milliards de dollars, de valeurs morales, portés par le business d’ONG se livrant une concurrence féroce.
Le résultat est un désastre. Le pays est confronté à une crise humanitaire dramatique, accentuée par le réchauffement climatique et une gouvernance chaotique. « Les Talibans sont incapables de construire un État solide, fragilisés par des années de conflit et une corruption généralisée ». Olivier Roy a réalisé ses premiers voyages en Afghanistan dans les années soixante, quand Kaboul dansait et que le pays était exploré en toute insouciance par des hippies et des archéologues en quête d’exotisme. L’expert dresse un réquisitoire accablant de 40 ans d’ingérence et d’action humanitaire. « En dépit du but louables, elle nuit à la construction d’un État auquel elle veut se substituer. Dans une pure et simple logique d’existence, avec la volonté de se perpétuer soi-même plutôt que de réaliser des objectifs qui entraîneraient sa propre disparition.»
L’impérialisme des États tampons
En 1983, Olivier Roy avait déjà évoqué au Club 44 le destin de cet Afghanistan au carrefour de passion humanitaire et d’enjeux stratégiques. La crise ukrainienne s’est bien sûr invitée à la conférence de cet observateur. « Dans la posture du savant fou, Vladimir Poutine joue aux apprentis sorciers. Là aussi, comme en Afghanistan, il est question d’impérialisme et d’États-tampon, malmenés par des ingérences étrangères et une montée des nationalismes, avec le risque d’un conflit qui pourrait devenir hors de contrôle en plein cœur de l’Europe ».
