Jean-Hubert Lebet : « Un engrenage très dangereux »

Olivier Kohler

Figure et personnalité chaux-de-fonnière, Jean-Hubert Lebet a exercé 40 ans dans la diplomatie suisse. Rome, Pays-Bas, Vietnam, Roumanie et Kosovo. Il était en poste à Moscou au moment où l’Union soviétique disparaissait. L’ancien ambassadeur nous livre son regard sur la crise ukrainienne. Interview

 

Doit-on redouter que le conflit devienne hors de contrôle ?
C’est la plus grande crise internationale depuis la 2e guerre mondiale et la chute de l’ex-Yougoslavie. Cette séquence critique bouscule toutes nos certitudes. Un engrenage très dangereux qui rappelle les logiques de guerre de la 1ère guerre mondiale. Un des aspects sidérants de cette crise, c’est la résurgence de non-dits qui nous explosent en pleine figure. Des blessures nées de la 2e guerre mondiale éclatent avec une violence inouïe. Dans ce conflit monstrueux, l’armée russe s’attaque à des frères, des cousins, alors que les deux pays entretenaient des liens très forts ! Cela dit, l’instrumentalisation de la langue ukrainienne, le rejet de la culture russe, l’absence de volonté du pouvoir ukrainien d’appliquer les accords de Minsk a crispé les fronts. En 2014, le fait de ne plus reconnaitre le russe comme une langue officielle n’était pas acceptable mais ne saurait en aucune façon justifier cette guerre sale.

 

Vladimir Poutine a-t-il commis une erreur historique ?
Longtemps présenté comme un joueur d’échecs, rationnel et stratège, Vladimir Poutine montre là un visage irrationnel. Il risque de tout perdre et il est en train de tout rater. Il avait de fait obtenu la neutralisation de l’Ukraine ! En l’agressant, il a ressuscité l’OTAN, cliniquement morte, soudé l’UE, motivé la Finlande et la Suède à adhérer à l’OTAN. Il a relancé l’intégration de l’Ukraine à l’Alliance atlantique, sa grande obsession. Et il encaisse le boycott massif des milieux sportifs et culturels occidentaux. Poutine est aussi désavoué par une partie de son opinion, opposée à cette invasion qu’il « vend » comme une opération de maintien de la paix.

 

L’Europe est-elle en guerre ?
Son front uni est le reflet d’une conscience européenne, très ferme à l’égard de Moscou, réalisant qu’un danger est à nos portes. L’Allemagne rompt avec sa doctrine pacifique et vote 100 milliards d’euros pour moderniser son armée. Une rupture historique. L’UE, de façon tout à fait inattendue, envisage des livraisons d’armes. Fournir des moyens offensifs, tels des avions de chasse, c’est problématique, cela peut provoquer un engrenage vers un conflit plus large. Les sanctions financières et économiques sont déjà extrêmement dures et déstabilisatrices pour la Russie.

 

Le Conseil fédéral a-t-il trop tardé?
J’étais très heureux qu’il annonce ses sanctions. Mais pas d’illusion : Cuba est sous sanction depuis 1962. Voyez aussi l’Iran et la Birmanie. Les sanctions ne fonctionnent pas. Elles peuvent même renforcer les régimes autoritaires et les dictatures. Le peuple russe est fataliste et résigné. Vladimir Poutine est capable de tout. Il n’a pas hésité à raser de la carte une ville de 200’000 habitants durant le conflit en Tchétchénie. Il faut juste espérer que ce conflit ne dégénère pas en une guerre plus étendue.

Jean-Hubert Lebet, à l’époque où il était en fonction à Moscou. Pour l’ancien ambassadeur de Suisse, « les erreurs du pouvoir ukrainien ne justifient en rien cette guerre sale. »
Jean-Hubert Lebet, à l’époque où il était en fonction à Moscou. Pour l’ancien ambassadeur de Suisse, « les erreurs du pouvoir ukrainien ne justifient en rien cette guerre sale. »

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