J’avais embarqué le type de la TV en gare de Neuchâtel.
— On passera par la Vue-des-Alpes. C’est mieux pour découvrir le Haut.
— Comme vous voulez. Je suis en repérage pour une émission culturelle. Vous serez mon « fixeur ». Je dois trouver un sujet.
La brume se dégagea dans la descente du Reymond.
— Voyez, la ville est construite en damier, « à l’américaine ».
— A cause du Corbusier ?
Je n’ai pas voulu faire des précisions historiques. « Le Genevois » commençait à me les gonfler.
— Voici « Le Pod » et là le Club 44, un haut lieu de culture.
Le gars répondit à son portable.
— Ma productrice veut du « trash », convenable, suisse.
— Du « suisse trash ». Je vois.
La scène alternative musicale avait beaucoup souffert à cause du Covid. Un oiseau siffla. Le printemps était venu. Je respirais mieux. 5/7/5 syllabes, j’avais trouvé !
Après la grande fontaine, je l’avais conduit vers une baraque bizarre.
— C’est le club secret des sonneurs de Haïku des Montagnes, des rebelles, du lourd. Ils continuent de se réunir au mépris des autorités sanitaires. Le toubib cantonal est un taliban de l’hygiène.
— Ail-cul ? C’est du dialecte ?
— Non, du japonais, une poésie minimaliste en tercet de 5, 7 et 5 syllabes.
Un type, allure de bûcheron barbu, nous avait ouvert :
« Bienvenue ami/Ici, le sens des mots luit/Pour te libérer ».
On nous servit des bières. Cela théorisait, versifiait, une fille en tong déclama des sons. Un blond à barbichette versa de la bleue. « Dans les vers », dis-je, me croyant drôle. L’eau se troubla comme nos pensées.
Le bûcheron prit à partie le « recherchiste », marchandant l’absinthe contre un haïku. L’autre ne savait plus où se mettre, perdant ses mots, comptant à rebours les syllabes. Il s’enfuit furieux. Et tout illuminé, je conclus qu’en fin de repérage se trouve le mot « rage ».