Ceci est une fiction

Claude Darbellay
Écrivain

Pendant dix jours, ça avait été l’enfer et lorsque le pilonnage avait cessé, ils étaient sortis des caves, avaient enjambé les décombres, s’étaient hâtés, craignant que ça recommence. Ils avaient trouvé refuge dans une ville voisine, sous des tentes dressées sur le terrain de football dont un coin avait été transformé en cimetière. A midi, ils s’agglutinaient autour d’un poste de radio.

 

Certains, trop faibles ou trop désespérés, s’endormaient pour ne plus se réveiller, faisaient de la place pour les suivants. On les enterrait sans grande cérémonie. Le raclement des pelles, quelques mots, c’était fini. On avait à peine fait connaissance avec son voisin qu’un autre arrivait. Plus rien ne comptait que de rester là le plus longtemps possible. Un jour, encore un, un autre encore. Le temps se rétrécissait, il était de plus en plus difficile de passer au travers. On se battait pour une miche de pain, une boîte.

 

Les enfants collectionnaient les boîtes vides. Il les assemblaient, reconstruisaient le lieu d’où ils venaient. J’habitais ici, disaient-ils, moi là. Ils traçaient des lignes qui reliaient une boîte à l’autre. Puis un des enfants piétinait les boîtes ou les dispersait avec un bâton pendant que ses compagnons, lèvres closes, imitaient le vrombissement des avions, la déflagration des bombes. Ils couraient, s’accroupissaient, plaquaient la paume des mains sur les oreilles.

 

Eux s’étaient aimés avant que ça commence. Un jour elle annonça qu’ils allaient se marier même s’il venait de l’autre côté où ils avaient d’autres jours de fête, parlaient une autre langue.

 

La cérémonie eut lieu au milieu du pont. On dressa les tables, des deux côtés furent apportées des gerbes de fleurs, bouteilles et paniers de victuailles. Un orchestre joua toute la nuit, on trinqua, dansa. C’est au petit matin qu’ils arrivèrent, que retentit le crépitement des mitraillettes.

 

La mariée est persuadée que son mari en a réchappé, lui aussi, qu’il a pu sauter dans la rivière, qu’il se cache et attend, comme elle, qu’il y ait assez de ruines pour que ça cesse.

 

 

Derniers ouvrages parus :
Déplis, roman, 2018, éd. infolio, Gollion
L’Épidémie, roman, 2021, en poche, même éditeur.

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