Pas de doute : Laurent Kurth est bien remis de son terrible coup de barre du printemps dernier. « Mais il m’a fallu tout l’été ». Vacciné, il a néanmoins été covidé par ce satané virus « après deux ans sans repos ». Mais on voit qu’il a repris du poil de la bête politique qu’il est : énergique, clair, précis. Chemise impeccable et manches retroussées, il nous reçoit dans son spectaculaire bureau aménagé dans les combles du Château. Il hésitera un instant au moment de la photo : « Avec sa table de conférences, les gens vont dire qu’il est trop grand… ».
C’est là, au 2e étage de l’aile nord-est, qu’il se prépare à gérer au mieux avec ses collègues de nouvelles tempêtes. « Prix de l’énergie, menace de pénurie, hausse des primes maladies, inflation… : la population et les acteurs sont très nerveux », note le ministre de la santé et des finances. Sans trac face à ces nouvelles crises : « Je sais que ce sera plus compliqué, et que nous devons nous centrer plus encore sur notre rôle de garant de la cohésion, en écoutant, avec calme et sérénité, en gardant du recul, tout en faisant encore plus attention au vécu quotidien des gens ». Un défi relevé depuis 10 ans tout rond. Le bon moment pour faire le point.
A 27 ans, vous étiez le plus jeune chef d’un service de l’emploi du pays ?
Au sortir de l’UniNE, comme presque toute ma volée d’économistes, nous n’avons pas trouvé de boulot. J’étais révolté. Je l’ai dit à une conférence de Pierre Dubois, ministre de l’économie d’alors. Il m’a pris au mot et m’a proposé un poste de stagiaire. Je suis ensuite devenu chef du Service de l’emploi, avec une équipe de 8 personnes. Et quand les ORP ont dû être créés, Pierre Dubois m’a proposé de le faire. A Lise Berthet, qui lui avait demandé s’il recrutait désormais à la sortie des écoles, il a répondu que la jeunesse était « un défaut qui se corrige chaque jour ». Ce parcours m’a offert durant dix ans la meilleure des formations continues. J’ai fini à la tête d’une organisation multidisciplinaire et multisite comptant 100 personnes. Je garde une grande reconnaissance pour ce que m’ont transmis des figures qu’ont été pour moi des Pierre Dubois, Francis Matthey ou Bernard Soguel.
Pas de nouveau mandat ici. Mais à Berne ?
Je n’ai jamais eu de plan. Au terme de mon mandat actuel, je souhaite que mes aspirations personnelles l’emportent. Me porter candidat aux élections fédérales ? A priori, non. Mais je défends des valeurs politiques. Si ma personne peut jouer en faveur de celles-ci, et que le PS me dit en être convaincu, j’accepterai de réfléchir. Mais bien d’autres personnes seront adéquates dans ces fonctions. Le Conseil fédéral ? Non. Et ce n’est pas une réponse convenue. Elle est fondée sur des motifs strictement privés. »
Désamour de La Chaux-de-Fonds : « Parlons réalisations ! »
Le désamour est connu. Persistant. Dans sa ville Laurent Kurth est mal aimé. Cela l’affecte, surtout en regard de dossiers désormais enterrés. Le politicien préfère se pencher sur ce qu’il a apporté et ce qui lui plait dans sa ville.
Votre plus cuisant échec au Conseil communal?
Même si je ne l’ai pas vécu comme tel sur le moment, les emprunts DEPFA (réd : les emprunts « toxiques », calés sur le cours de l’euro). J’ai aussi vécu un week-end de grand doute quand La Chaux-de-Fonds a dit non à la hausse d’impôts que je défendais avec le Conseil communal. J’ai pensé à démissionner… Le déficit de la Ville n’avait jamais excédé 5 millions. Là, il était de 18 millions… Je regrette aussi le refus en référendum de l’arborisation de l’avenue Charles-Naine : ça m’a désolé pour le quartier des Forges, qui a un potentiel énorme. Parmi les déceptions, il y a eu le transfert de l’Ecole d’ingénieurs du Locle à Neuchâtel (réd. : Laurent Kurth a rêvé à l’époque la voir s’installer dans le nouveau Quartier Le Corbusier) et le centre mère-enfant. Le traumatisme a été plus grand pour cette question hospitalière, mais la marque plus profonde avec l’Ecole d’ingénieurs.
Les plus belles réussites ?
L’inscription à l’UNESCO, le nouveau quartier Le Corbusier, et « green valley », l’aménagement du Crêt du Locle. Trois réveils qui ont redonné une dynamique persistant aujourd’hui. L’année Art nouveau, avec les affiches sur la rue du Collège industriel temporairement piétonnisée et transformée en promenade. Et la place du Marché. Elle n’était vraiment qu’un parking, et son réaménagement a amorcé le processus vers les résultats que l’on a pu voir ces deux derniers étés.
Déclaration d’amour à sa ville et son canton
« J’en suis convaincu : La Chaux-de-Fonds, et son espace en damier Unesco est le plus bel espace résidentiel du monde ». Et Laurent Kurth d’y aller de sa déclaration d’amour. Passionnée !
« Cette taille, cette proximité, cette qualité-là… ça n’existe nulle part ailleurs. Je souligne le symbole qu’a représenté le lancement de la campagne de domiciliation lancée le 16 septembre à La Chaux-de-Fonds, dans la Maison blanche, première réalisation signée Le Corbusier. Notre Canton offre tant de paysages à vivre ! 40 km de lac, des crêtes libres d’accès, des coteaux non-construits, à l’inverse de ceux de presque tous les lacs de Suisse, autant d’atouts majeurs que Neuchâtel doit faire connaitre ».
En regard de cet attachement émotionnel à sa ville, oui, Laurent Kurth admet que certaines critiques ont créé des blessures. « J’ai toutefois une conscience aigüe qu’on retient surtout ce qui n’a pas marché. Je suis fier de mes 8 ans et demi au Conseil communal. De tout ce qui a été initié et qui se développe favorablement aujourd’hui, comme l’axe culturel, la place de l’ABC… ».
Capital culturelle suisse : LK est fan
Enfin, La Chaux-de-Fonds, 1re Capitale culturelle suisse, Laurent Kurth est fan. « C’est légitime en regard du foisonnement, et nécessaire : la dynamique qui se met en place est une fantastique opportunité. Cela ouvre un avenir sincère construit sur l’ADN de la Ville.
Je rêve que cette capitale ne soit pas un rêve éphémère mais marque la renaissance de la Ville. Qu’elle soit le déclic pour que ses habitants taisent leurs complexes et célèbrent leur ville. Cela peut même créer une économie « d’exportation » sur certains savoir-faire comme les métiers du son où certains excellent ».
« Peur de rattraper le temps perdu… trop tard »
« Le Transrun a clairement été un raté. L’équipe du Conseil d’Etat, décriée, n’a pas été en mesure d’emporter le vote populaire sur ce dossier difficile. A mon entrée en fonction, un climat de défiance régnait à l’égard des autorités. A chaque changement au gouvernement, l’équipe et la confiance de la population sont à construire ».
Avec les contournements routiers dans le Haut et le RER (ligne directe notamment), le Canton est en passe de rattraper le temps perdu au niveau de la mobilité publique. « Mais avec la crise énergétique qui arrive, il faut veiller à ce que quand les inaugurations arriveront (réd. : à l’horizon 2030), il ne soit pas trop tard. Les récentes annonces de départs de certaines divisions de fleurons horlogers ne doivent pas se multiplier ».
Autre sujet brûlant, le bras de fer avec l’initiative pour la répartition des millions alloués par Berne pour les surcharges géo-topographiques. « Nous ne voulons pas passer pour les Picsou », lance Laurent Kurth, en signalant les trois initiatives pour des soutiens accrus à la culture, au sport, aux transports… Entre les mots, on comprend qu’un montant conséquent sera alloué à La Métropole horlogère et aux régions d’altitude ! « Mais nous voulons qu’ils soient engagés dans des projets qui génèrent une véritable dynamique pour la région ».
La discussion avec les Villes est agendée. « Ma grande inquiétude : si on ne parvient pas, avec elles, à s’engager ensemble sur un projet qui représente un pilier du développement de tout le canton, toute la région s’appauvrira ».
Et Laurent Kurth de rappeler les rééquilibrages majeurs projetés ou en cours. L’Ecole Pierre-Coullery, l’ouverture d’un centre ambulatoire du CNP dans les anciens locaux de Portescap , l’installation du Ministère public neuchâtelois à Bonne-Fontaine après le refus du Nouvel Hôtel judiciaire, le plan « vitamine », avec les centres de compétences Culture et patrimoine et Emploi et formation installés dans la Métropole horlogère, tout comme les Archives cantonales, en plus des infrastructures de transports. « Autant de services (réd : 7 en tout) qui vont venir regarnir le Haut du canton, avec lequel nous voulons corriger trois faiblesses : l’accessibilité, les espaces publics et le défi énergétique. Les deux premiers sont en passe d’être réglés », salue Laurent Kurth. « Pour l’énergie, tout en gardant une cohérence du paysage des toitures du site du patrimoine mondial, il faut se rappeler que l’urbanisme traduit des évolutions : il s’agit aujourd’hui de relever le défi de l’énergie solaire même dans le périmètre UNESCO »
Deux hôpitaux : « Un point à refaire d’ici 20 ans »
Pour Laurent Kurth, « L’échec de l’hôpital de soins aigus unique n’a pas été celui de la politique hospitalière ». A ses yeux, l’intérêt du projet de centre cantonal de réadaptation à 200 millions a échappé aux Montagnons.
« Le Conseil d’Etat voulait donner au Haut la possibilité de jouer un rôle cantonal, sortir de l’« entre-soi » chauxois ». La population a voulu garder deux hôpitaux et nous sommes attachés aujourd’hui à concrétiser cette volonté . Au vu de l’évolution du système de santé et des primes d’assurances maladie, il n’est pas exclu que la discussion des missions attribuées à chaque site soit reprise dans les prochaines décennies, mais je ne serai plus au Conseil d’Etat lorsque la question se posera ».
La phrase va secouer dans les chaumières…
Et Laurent Kurth d’insister sur les missions essentielles pour la région que le Conseil d’Etat veut répartir. En citant le prochain réinvestissement de l’ancienne Ecole d’ingénieurs au Locle.
Objectifs sportifs
« Je n’étais pas un sportif pointu ». A l’Olympic, le jeune Laurent s’est frotté au sprint, aux courses de haies et au saut. Sans insister. Une préparation symbolique à tout le moins aux épreuves de sa carrière politique. Adepte de la course à pied et du ski de fond sur les crêtes du Jura qu’il affectionne, nageur dans le lac de Neuchâtel, Laurent Kurth a déjà disputé les marathons de New York, Chicago et Berlin. De ce côté-là, il n’est pas près de raccrocher non plus : « Je rêve, après mon mandat au Conseil d’Etat, d’en courir un 4e ou de courir à nouveau Sierre-Zinal ». La plus belle course à ses yeux. « Et parcourir l’Europe à vélo ». Dans l’immédiat, c’est à La Trotteuse-Tissot le 10 décembre qu’on pourrait le voir au départ, s’il parvient à refaire son retard d’entrainement. Mais LE rendez-vous incontournable de Laurent Kurth, c’est Locarno. « Je me rends depuis 30 ans à chaque édition. C’est pour moi une plage privilégiée de voyages au sein des problématiques contemporaines, avec les générations et dans les régions du monde ».