Toussaint

Françoise Matthey
Ecrivaine

Il arriva ce qui devait arriver : leur mère mourut. Certes, elle était d’un grand âge et ce fut de sa belle mort puisqu’elle était partie dans son sommeil, mais le choc et la douleur déroutèrent Karen et Phil, ses enfants. L’officier des pompes funèbres, M. Chenet, fut exemplaire. Un homme d’écoute. Côté pratique, après l’office au village, le cercueil partirait au crématoire. Puis l’urne serait déposée dans le caveau familial en Alsace. M. Albert, un vieil ami de la famille, avait appelé. Selon la coutume, il préparerait lui-même le trou avec Phil qui vivait sur place.

Et c’est ainsi, que le soir avant le jour J, les deux hommes, armés de pelles et de pioches s’en allèrent, à la queue leu leu dans les dédales du cimetière jusqu’à la tombe familiale. La place n’était effectivement pas grande. Il faudrait creuser profond si on ne voulait pas tomber sur l’urne en plantant les bégonias.

En Suisse, après le repas, le téléphone sonna. L’urne, dûment mesurée, n’entrerait pas dans la cavité creusée. On appela M. Chenet qui n’avait malheureusement rien de plus petit. Vous savez…avait-il dit, affable, vous n’êtes pas obligés de mettre les cendres de votre maman, paix à son âme, dans une urne. Un foulard irait aussi, ou un vase… Phil avait refusé net. A la cave Anne, la fille de Karen avait déniché quelques récipients : un pot en grès avec un gros bouchon de liège. Ça ne fait pas un peu confit de canard ? Maman… Cet élégant bocal en verre, alors ? Pour un pot-pourri…Elles ne trouvèrent rien.

Il fut donc décidé que Phil trouverait le lendemain une urne plus adaptée dans un service alsacien. De chaque côté de la frontière, chacun alla se coucher. Pendant la nuit, Karen se souvint d’un coffret rectangulaire, en bois naturel qui plus est, avait les dimensions requises !

Le lendemain lorsque Anne et son père descendirent de l’étage pour le petit déjeuner, Karen brandit la boîte. Le père et la fille se regardèrent, figés sur place, bouche bée. Intriguée, Karen les yeux gonflés, mais digne, examina la boîte, la tourna entre ses mains et lu, écrit en grosses lettres : « Vieille Prune ».

 

Dernière publication : Feux de sauge, Ed. de l’Aire 2021. Prochaine publication : A peine un petit mouchoir bleu, Ed. de l’Aire, 2023

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