Nous déjeunions en regardant, par la fenêtre, le houx assoupi sous la neige qui tombait depuis des jours. Pourtant ses baies, d’un rouge éclatant, tenaient bon.
Nous attendions les oiseaux. Ils étaient toujours plusieurs à venir se nourrir en même temps. Une branche ploie, se balance, s’allège d’une poudreuse poignée de neige et les voilà déjà perchés sur une autre, leurs becs plantés dans les fruits.
Les teintes pastel de leurs plumes, le rouge des baies comme de petites gouttes de sang sur la robe glacée de l’arbre et cette silhouette sombre qui monte le long du tronc, notre chat, bien sûr, et pourquoi les oiseaux ne s’envolent-ils pas, ne le voient-ils pas qui rampe à leur rencontre, son pelage sombre éclaboussé de neige, opportunément camouflé à présent. Pensent-ils que, d’un coup d’aile, ils s’échapperont au dernier moment ou sont-ils engourdis par le froid, désespérant de revoir le printemps, fatigués de la vie ? Et presque aussitôt le claquement de la chatière, un miaulement qui ressemble à un roucoulement, l’annonce d’un trophée. Le chat assis devant la porte, le corps de l’oiseau déposé à nos pieds, sans blessure apparente, endormi seulement, dirait-on, et si confiant.
Nous n’y tenons plus, nous le prenons dans nos mains, allons le déposer, perle grise et soie rose, dans un écrin de neige, loin du chat qui nous observe, incrédule et sévère et peut-être y a-t-il aussi un peu de compassion dans son regard pour l’inconséquence des hommes, car enfin à quoi l’oiseau pourrait-il servir d’autre, maintenant, qu’à un innocent festin ?
Avec un haussement d’épaules, il nous tourne le dos, s’absorbe dans sa toilette, dédaigneusement, et puis saute sur nos genoux, s’enroule et ronronne et nous lui murmurons des mots doux.
Dernières publications : Déchirures, Bernard Campiche Editeur (2018), La Boisselière, Bernard Campiche Editeur, 2014