Marais rouge *

Sandro Marcacci
Ecrivain, photographe

On lui dit Il y a longtemps un désert, et tous les monts alentour, mais un désert d’arbres et les hommes n’y vivaient pas, n’y entraient jamais ou alors pour les pins, la résine qu’on en tire ou ce sera du goudron car il en faut pour le toit des granges. On lui dit que les arbres ont plus tard disparu, que cela s’est fait en une nuit pour laisser place à une vaste nappe d’eau.

A côté des marais, c’est aujourd’hui la terre dure, et tous dans ce mot devinent les herbages, les chemins, le tracé des cultures, une terre de noirs et de rouges qui s’en vont par-delà les premiers coteaux vers des enclos qu’on laisse venir en paille et, de mémoire, le carré d’un cimetière : la fièvre et beaucoup de morts, une fièvre dans laquelle on avance que les vers jouaient un rôle, des morts dans tous les foyers, et l’on donnait le service divin en plein champ.

La route, puis un chemin en dévers. C’est par celui-ci qu’elle s’avance, un chemin de vent, je t’aime, mais on n’entend que le vent, je t’aime, elle le crie, s’en vient sur ce mot jusqu’au renflement du marais. Le redire, le crier, je t’aime, et alors le silence qui suit, ce que le mot laisse après lui.

Elle ferme les yeux, se cache dans ses bras et c’est un bruit énorme, le clocher d’ici, puis ceux de la vallée à leur tour explosent, et dans les familles, les verres de toutes les horloges. D’où elle est, c’est comme un cliquetis de vaisselle. Demain les enfants diront Il y avait du temps partout sur le plancher. Du temps qu’on aura laissé là, qui n’était à personne. Du temps dont on n’avait su que faire.

 

* Marais rouge, en cours d’écriture.

 

Dernières publications : L’eau, le sale, la peur (récit, Ed. d’en bas, 2019). Araignées : Guide de terrain, avec Gilles Blandenier (biologiste), Ed. Rossolis (2022).

Découvrez nos autres articles