Proust !

Frédéric Mairy

Proust ! Il avait lancé ça d’un coup, sans réfléchir, sinon il n’aurait pas osé. On lui avait demandé : qu’est-ce qui vous a marqué cette année, et lui, il n’avait pas répondu la guerre, la sécheresse, ni la révolte en Iran, non, Proust ! Proust ? 

C’est que la semaine dernière, avait-il bredouillé, on fêtait le centième anniversaire de sa mort, enfin, on célébrait surtout son œuvre, le temps perdu, le temps retrouvé, les jeunes filles en fleurs, Albertine, la madeleine trempée dans le tilleul, tout ça, la sonate de Vinteuil. 

Pour faire sérieux, il avait mentionné les nombreux ouvrages publiés sur Proust ces derniers mois, les articles, les émissions. Il avait parlé de l’exposition des manuscrits qu’il avait visitée à Paris et qui montrait le travail à tâtons de l’écrivain. Saviez-vous que dans la première version, la madeleine était un morceau de pain rassis ? Mais il sentait son auditoire le perdre, du vécu, pensait-il, il faut du vivant, ce qu’il voulait après tout, c’était montrer ce que La Recherche lui apportait, à lui, aujourd’hui.

Alors il décrivit comment les sensations relatées par Proust réactivaient les siennes, il évoqua les émotions ressenties, malgré le siècle et la classe sociale de distance, au fil des paysages, des personnages, des situations. 

Il s’arrêta sur cette scène, bouleversante, où, touchant le premier bouton de sa bottine, le narrateur voyait surgir, dans sa mémoire, sa tendre grand-mère décédée l’année précédente et prenait conscience de la contradiction entre la vivacité, la félicité de ce souvenir et la certitude, qui suivait sans tarder, de l’avoir perdue pour toujours. Quittant le public des yeux, il pensa à sa propre grand-mère, morte quelques mois plus tôt.

 

Dernier ouvrage: Citadelle de sable, éd. d’autre part (2019)

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