Le livre en dehors des clous

Bernadette Richard

Un éditeur qui pense aux lecteurs avant son tiroir-caisse, c’est assez rare pour être signalé. Et où vit cette maison d’édition ? A La Tchaux, évidemment !

Bien que la sainte presse romande ait applaudi en 2012 quand les Torticolis et Frères publièrent leurs premiers livres, les mauvaises langues pariaient déjà sur la faillite. Onze ans et 70 titres plus tard, les Tortis sont toujours là, écoulant des bouquins à des prix défiant vraiment toute concurrence. Et imaginez : jamais ils ne répondront à un manuscrit refusé qu’il ne correspond pas à la ligne éditoriale, pour la bonne raison… qu’ils n’ont pas de ligne !  

Ils ? Le Chaux-de-Fonnier Alexandre Correa et le Jurassien Tristan Donzé, qui un jour en ont eu tellement ras le bol de leur boulot, ont décidé de se faire plaisir avec une activité plus jouissive que le train-train dépourvu de liberté : « Comme nous aimions les livres (ndlr : ils sont également écrivains l’un et l’autre), nous avions envie de connaître la chaîne du livre, explique Alexandre Correa, tout en le mettant à la portée de chacun. »  

Affaire conclue au pas de charge (en plus d’un travail alimentaire), et premier ouvrage de la nouvelle maison d’édition : « Redémarrer la Suisse », du zurichois P.M., une traduction de l’allemand.  Ils ont décidé de publier les ouvrages qui leur plaisent, des coups de cœur, seule ligne à suivre : « On ne cherche pas à convaincre l’autre, on se fait confiance. » 

 

Joies du do-it-yourself 

Les manuscrits affluent vite grâce au bouche-à-oreille. Ils lisent, choisissent, discutent le coup avec l’auteur, mettent en page – une correctrice leur file un coup de main, et finalement impriment et distribuent. « Ce sont nos seuls frais, le papier et la distribution. Zéro frais de production. » 

Au départ, la Fondation Sandoz et la Loterie romande les ont soutenus. La Chaux-de-Fonds, qui ne les a jamais aidés, a fait cette année une petite exception. Bienne a été plus généreuse. Parfois Vaud et Fribourg y vont d’un nerf de la guerre, modeste mais bienvenu. Aujourd’hui, Torticolis et Frères est financé par les ventes. Leurs livres sont avant tout objet à… lire ! Pas à faire joli dans la bibliothèque ou sur la table du salon. Format de poche, papier recyclé, couverture parfois archi moche – selon les critères des libraires et de nombreux lecteurs attirés par les photos ou les dessins tape-à-l’œil du roman contemporain.  

Le catalogue comprend peu d’auteurs connus, mais à les découvrir, ils offrent tous des alternatives à la littérature convenue et soutenue à grand renfort de prix et de papotages médiatiques. Il y en a pour tous les goûts, la poésie est en bonne place, de même que les témoignages et leurs propres romans.  

Comme leur démarche n’a rien de conventionnel, ils ont attiré l’attention au Salon du Livre : une première fois en affichant le prix délirant d’un stand de 80cm sur 80, qui leur a valu, l’année suivante une meilleure place, « décorée » avec du matériel de chantier proposé par l’entreprise Biéri-Grisoni. Vin, café, discussions autour des livres, ils ne poussent pas à la consommation sonnante et trébuchante, mais bien au lien avec les visiteurs, enchantés par leur accueil. « Comme à Genève, on prend les Chaux-de-Fonniers pour des paysans, l’année suivante, nous avons amené des bottes de paille… les gosses jouaient dedans, et en se baladant dans le salon, traçaient au sol un chemin qui conduisait aux Tortis. » Toujours décalés, quel que soit le sujet. 

Et l’aventure continue : cinq sorties qui sentent encore l’encre fraîche, des projets, et toujours leur catalogue sous forme d’affiches à collectionner. 

 

www.torticolis-et-freres.ch 

Alexandre Correa (à g.) et Tristan Donzé (à dr.)
dans leur stand au décor Biéri-Grisoni, au Salon
du Livre. (Photo : P. Schreyer)
Alexandre Correa (à g.) et Tristan Donzé (à dr.) dans leur stand au décor Biéri-Grisoni, au Salon du Livre. (Photo : P. Schreyer)

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