Le destin tragique d’un Loclois

Patrick Fischer

Publication de la BD « Berne, nid d’espions. L’affaire Dubois 1955-1957 »

C’est une affaire d’espionnage digne d’un roman de John Le Carré. Fin des années 50, la guerre froide, l’indépendance de l’Algérie, les intrigues des services secrets. Au cœur de ce polar, le procureur de la Confédération René Dubois. C’est un enfant du Locle. Il va se brûler les ailes dans cette histoire qui le dépasse. Le 23 mars 1957, il se donne la mort avec son arme d’officier. Il a 48 ans.

C’est la trame du roman graphique « Berne, nid d’espions. L’affaire Dubois » qui vient de sortir aux Editions Antipodes. La Suisse espionnait l’ambassade d’Egypte et livrait les informations aux services secrets français, la neutralité suisse était déjà sur la sellette ! On en sait plus aujourd’hui sur ce scandale d’Etat, longtemps étouffé, grâce aux archives récemment déclassifiées. Les dessins sont signés Matthieu Berthod, le scénario Eric Burnand, l’ancien journaliste de la RTS reconverti en auteur de BD historiques à succès. Nous l’avons rencontré pour Le Ô.

 

– Quels étaient les liens entre René Dubois et sa ville du Locle ?

– On sait qu’il y revenait souvent. La ville l’a aidé quand il était au chômage dans les années 30. Il a également reçu un soutien officiel au moment de postuler à Berne. La lettre de recommandation évoquait sa situation financière difficile. 

 

– Quel écho a eu sa mort dans la région ?

– Beaucoup d’émotion. La FAN a publié une photo en une. On ne parlait pas de scandale mais de la disparition de l’enfant du pays, devenu un des plus hauts magistrats de la Confédération. Quant à l’Impartial, il a davantage cherché à connaître les dessous de l’affaire, le rôle des services secrets.

 

– Quel genre de personnage était Dubois ?

– Plutôt fort en gueule, fumeur, il ne crachait pas dans son verre. Un militaire choqué raconte l’avoir vu dans une assemblée d’attachés militaires « faire le comique » ! Il correspondait à l’image du Welche dans un Département largement suisse allemand. Mais c’était un homme courageux. Il a enquêté sur tous les scandales d’après-guerre, notamment au sein de l’armée, ce qui lui a valu de solides inimitiés.

 

– Comment Dubois a-t-il atterri à la tête du ministère public de la Confédération ?

– Dubois était socialiste. Sa nomination est à comprendre dans une stratégie visant à faire revenir les socialistes au Conseil fédéral, ce qui se produira en 1959 avec le début de la formule magique.

 

– Aujourd’hui une telle affaire tiendrait la presse en haleine pendant longtemps. A l’époque on en a peu parlé ?

– Le suicide du procureur a fait la une de la plupart des journaux mais l’intérêt, c’est vrai, est vite retombé. La presse étrangère en a beaucoup parlé. Une enquête du Sunday Times a fait grand bruit. Elle révélait que Dubois aurait agi avec l’aval du Conseil fédéral, mettant en cause Max Petitpierre. Imaginez, le ministre des Affaires étrangères accusé de violation de la neutralité ! Branle-bas de combat au département politique, qui s’est empressé d’envoyer des notes à toutes les ambassades pour démentir.

 

– Est-ce qu’on connaît les raisons qui ont poussé Dubois au suicide ?

– Comme l’a écrit un journal, c’était « un naïf dans la jungle des services secrets » ! Mettre une ambassade sur écoute était légal, échanger des informations avec les services étrangers était admis. A-t-il outrepassé ses pouvoirs ? En pleine guerre froide, les tensions étaient extrêmes. Dubois n’était sans doute pas préparé à jouer dans la cour des grands. Il s’est retrouvé coincé. Lui-même se disait victime de chantage. 

 

– Désormais vous le connaissez bien. C’était un personnage attachant ?

– Oui. Je me suis pris de sympathie alors que j’étais parti avec l’idée qu’il était coupable. Mais il n’a pas livré de secret d’Etat. Je le vois plutôt comme un fusible, dont la mort a arrangé bien du monde.

 

Séance de dédicaces samedi 10 juin, Payot La Chaux-de-Fonds

 

 

Bio express

René Dubois est né au Locle en 1908 dans une famille ouvrière. Son père est horloger. Sa mère décède quand il a 9 ans. Il grandira dans la maison des Oesch. Son père, chômeur, émigre aux Etats-Unis. Etudes de droit, adhésion au Parti socialiste, mariage avec Lily Hottinger. Engagé comme juriste au Département de justice et police, il gravit les échelons et devient procureur de la Confédération en 1955. 

Le dessinateur Matthieu Berthod (à g.) et le scénariste Éric Burnand (à dr.) présentent leur BD retraçant l'affaire Dubois. (Photo : Ulysse Lozano)
Le dessinateur Matthieu Berthod (à g.) et le scénariste Éric Burnand (à dr.) présentent leur BD retraçant l'affaire Dubois. (Photo : Ulysse Lozano)

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