Rencontre avec Fabienne Bertschinger qui expose au Jardin botanique de Neuchâtel
Passionnée par sa profession, Fabienne passe 21 ans en ville avant de quitter les Montagnes direction la Suisse allemande où elle travaillera chez Kuoni puis dans le service du contentieux chez UBS Card Center. Attirée par un métier qui allie sens de l’observation, patience et technique dessinatoire, elle se lance en 2012 dans une formation d’illustratrice scientifique auprès de la Haute École d’arts de Lucerne. Formation inconnue de ce côté de la Sarine, celle-ci permet d’acquérir un bachelor au terme d’une formation à plein temps de 3 ans dispensée à Zürich et Lucerne. Avec l’interview de l’artiste, Le Ô vous propose d’entrer dans l’univers du détail saisi patiemment par celles et ceux qui ont opté pour une formation d’illustrateur scientifique.
– A quoi servent vos croquis et dessins ?
– S’ils peuvent être vus comme des œuvres artistiques, leur utilité première est de montrer le détail d’espèces mammifères ou végétales au grand public ou à des experts avertis. Avec nos dessins, nous arrivons par notre rendu à rendre des détails de scènes impossibles à saisir en se baladant dans la nature et participons à la transmission du savoir scientifique.
– Votre profession méconnue est-elle source de revenus suffisants ?
– En vivre fait partie de mes rêves. Aujourd’hui, j’allie des mandats sporadiques que je dois compléter avec un emploi administratif à 60% pour boucler les fins de mois. Bien que le prix de vente d’un dessin s’échelonne entre CHF 560.- et CHF 1’000.- ou plus, la production d’un seul d’entre eux nécessite une petite dizaine d’heures au minimum, selon la complexité, et la vente des œuvres reste incertaine.
– Quels sont les potentiels employeurs ?
– Il y a un grand nombre de donneurs d’ordre. Des instituts publics comme les musées, les hautes écoles, le milieu médical qui utilise souvent des illustrations en 3D, les instituts d’archéologie ou les faîtières professionnelles sont des pourvoyeurs potentiels de mandats. Chez les privés, la Salamandre ou divers autres journaux font aussi appel aux spécialistes de notre profession. A Neuchâtel, le CSCF (Centre suisse de cartographie de la faune) est une institution avec laquelle j’aimerais travailler.
– Quelques mots sur la technique ?
– Pour le monde végétal, afin de reproduire les détails avec précision, je préfère travailler avec la plante. Si je dois travailler en hiver sur une plante qui ne pousse que l’été, je m’inspirerai d’un maximum de photographies pour ne rien manquer. Pour les mammifères, l’observation et le rendu peuvent se faire sur la base d’animaux conservés dans des collections. Ensuite commence le travail d’observation puis de rendu à la main sur la feuille de papier ou la tablette graphique. Pour ne manquer aucun détail, outre l’observation, ma curiosité pour le thème et ma passion pour le dessin sont les ingrédients d’un dessin réussi. En fin de travail, je réalise la mise en couleur de ses dessins en utilisant la technique de l’aquarelle ou crayons de couleur.
– L’intelligence artificielle (AI), concurrente à votre profession ?
– Je n’ai pas testé mais j’imagine mal des logiciels réaliser un travail artistique aussi complexe. En revanche que ce soit pour dessiner les contours de base, pour travailler certains dessins dans Photoshop ou garder une trace des œuvres que je suis amenée à vendre, l’informatique est devenue une aide précieuse pour les illustrateurs.
– Comment joindre les deux bouts avec une profession si peu répandue ?
– En dehors d’un emploi fixe à temps partiel, la vente d’originaux peut être source de revenus. Sur les 60 illustrations réalisées pour le Jardin botanique de Neuchâtel, quelques originaux ont été acquis par le donneur d’ordre, c’est une chance ! J’espère vendre une partie des œuvres exposées afin de rentrer dans mes frais. Parfois, il m’arrive aussi de donner des cours de croquis botanique.
Fabienne Bertschinger et sa ville de cœur
– Pourquoi être revenue, comment ça s’est passé ?
– J’aime La Chaux-de-Fonds ! Après avoir séjourné 18 ans du côté de Zürich, je suis revenue en 2019 dans ma ville de cœur. Au fil des mois, j’ai rapidement tissé des liens et fais de belles rencontres. J’ai la chance d’habiter à la rue de la République, les jardins communautaires situés juste derrière, permettent de retrouver ses voisins et de passer des moment conviviaux échanges impensables à mettre en place à Zürich ou Baden.
– Ici, ce que vous aimez, ce que vous appréciez moins ?
– Vivre dans un appartement de 3 ½ pièces qui me sert aussi d’atelier, être dans une ville où la culture est omniprésente avec des événements aussi forts que La Plage des Six Pompes – le plus grand festival d’arts de rue de Suisse – est une source de bonheur. Passionnée par le monde animal, j’aime arpenter les chemins du Muzoo, son musée et son zoo et me balader dans une nature luxuriante à deux pas de chez moi. Au chapitre des choses qui dérangent, à part les six mois d’hiver sur lequel nous n’exerçons pas d’influence, la circulation chaotique et le manque de places de parc au centre, restent un souci.
– Caisse maladie, impôts, mythe ou réalité ?
– La réalité est que je consacrais entre les impôts et les primes de caisse maladie, pratiquement 50% de moins sur mon budget mensuel. Ce qui est fou c’est de payer une des primes les plus coûteuses de Suisse et de devoir attendre plusieurs semaines pour un rendez-vous chez le généraliste et plusieurs mois pour un spécialiste.
– Une année à morilles ?
– « Oui, j’en ai trouvé ! »
Passionnée de champignons – à quand des dessins de morilles, vesse de loup, écailleux et bolets ? – Fabienne Bertschinger est une champignonneuse heureuse, membre du comité de la Société mycologique des Montagnes neuchâteloise (SMMN), qui aspire à reprendre dans quelques années le poste de contrôleuse officielle pour la commune du Locle.
Exposition au Jardin botanique
Jusqu’au 3 décembre, les visiteurs peuvent découvrir l’exposition « Illustrations scientifiques et naturalistes » au rez-de-chaussée des locaux du Jardin botanique de Neuchâtel. En parcourant l’exposition, vous découvrirez des dessins saisissants. Ils permettent d’observer grâce à plusieurs plans superposés et assemblés par l’artiste, les caractéristiques de la plante et ses différents stades de développement sur une même image, séquence que l’on ne retrouvera pas simultanément dans la nature. Les illustrations présentées ont permis à l’illustratrice de mettre en scène des détails qui captivent l’œil et la pensée du visiteur qui observe les œuvres. « Je souhaite que cette exposition vous incite à apprécier la beauté et la complexité du monde naturel », souligne Fabienne Bertschinger.
A visiter chaque jour de 10h à 18h, Chemin du Pertuis-du-Sault 58, 2000 Neuchâtel