Une passion pour le livre jamais démentie

Bernadette Richard

Le Jurassien Vincent Bélet est devenu un pilier de la culture chaux-de-fonnière. Entretien avec cet amoureux fou du livre

Après d’innombrables mésaventures dans les librairies jurassiennes et neuchâteloises, Vincent Bélet se voit proposer le poste de gérant à l’enseigne Payot dans la Métropole horlogère. Lecteur chevronné, batteur du groupe Bovistop, ce grand amoureux du livre défend bec et ongles la littérature suisse, et romande en particulier. Un libraire en voie d’extinction.

– Comment vous est venue l’envie d’être libraire ?

– Ado, je rêvais d’être pianiste de bar ou rocker remplissant des stades de fans. Comme j’étais uniquement bon en français, une prof m’a conseillé la librairie. L’apprentissage a été très dur, l’un de mes maîtres à Delémont m’a écrasé et fait pleurer. Je me suis accroché, après divers emplois, j’ai ouvert ma librairie, mais je n’ai pas tenu le coup. Je me suis retrouvé à Neuchâtel, puis à La Chaux-de-Fonds au début de ce siècle.

 

– Quelles sont les qualités qui font un bon libraire selon vous ?

– Passion, rigueur, créativité, fantaisie, liberté d’être soi. J’ai eu d’excellents maîtres.

 

– On entend depuis au moins deux décennies que le livre est mort. Il l’est ?

– Non. Le livre est différent. La population change, donc la demande également. On vend toujours des livres, mais ce ne sont plus le mêmes qu’il y a 20 ou 30 ans. Aujourd’hui, on surfe sur les modes, on suit les conseils de tik-tok et des influenceurs. Soit le libraire ne vend que de bons livres, soit il s’adapte, c’est mon cas, il faut bien vivre ! 

 

– J’en déduis que les libraires eux aussi ont changé ?

– Nous avons affaire à une société du zapping. Autrefois, il fallait parfois une demi-heure pour trouver les références d’un ouvrage. De nos jours, les libraires connaissent tous les moteurs de recherches. Hop, trois ou quatre clics et la référence apparaît. Les jeunes libraires n’ont plus de jugement comme jadis, le client lit ce qu’il veut. Nous sommes dans un monde horizontal, la verticalité de la connaissance, ils s’en moquent éperdument.

 

– En somme, le livre est désacralisé, c’est une savonnette, un banal produit de consommation.

– En quelque sorte, et la librairie s’en fait le témoin. Je vous donne un exemple: à l’entrée, je présente les piles « des salades fraîches », les livres dont tout le monde parle. Après quelques semaines, ils sont « fanés » et laissent la place aux suivants ! Dans les rayons, outre les documentaires, mangas, BD, je garde pieusement les romans de qualité… c’est parfois douloureux de constater qu’après quatre ans, « Le Rivage des Syrtes », ce classique de Julien Gracq, prend toujours la poussière. Et puis, tout le monde écrit, les éditeurs n’ont plus de filtre !

 

– On sait que c’est un combat pour vendre le 99% des auteurs romands. Pourtant vous les défendez.

– Oui, les auteurs romands sont écrasés par les 80% de bouquins venus de France et vendus ici. Il y a pourtant parmi les écrivains locaux tellement sous-estimés de grands auteurs. Jusqu’à ma retraite, je les défendrai et les présenterai aux clients. Ils vivent ici, paient ici leurs impôts, ils méritent d’avoir un soutien qui parle pour eux. J’ai de la peine à comprendre qu’on évoque toujours les mêmes, dans la presse notamment.

 

– Qu’aimez-vous particulièrement dans cette profession ?

– Que ma vie et mon boulot se confondent. J’aime montrer « l’infinitude » culturelle des auteurs. Les vendre, je sais faire ça. Je me sens comme un chef d’orchestre.

 

Propos recueillis par Bernadette Richard

Pour Vincent Bélet, le livre est un ami sûr et fidèle. (Photo : br)
Pour Vincent Bélet, le livre est un ami sûr et fidèle. (Photo : br)

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