Le four solaire industriel du Crêt-du-Locle est une première mondiale
Le soleil chaux-de-fonnier alimentera bientôt le premier four solaire industriel qui permettra de fondre de l’acier local et durable. C’est le projet de la société Panatere. Au lieu de s’approvisionner en Chine, elle collectera les déchets d’acier dans les entreprises de la région. Une première mondiale réalisée en partenariat avec l’EPFL, l’Office fédéral de l’environnement et la Fondation suisse pour le climat. Le patron de Panatere Raphaël Broye veut sortir du délire de l’hypermondialisation, il prône l’économie circulaire et n’a rien perdu de son enthousiasme. Interview pour Le Ô.
– Il existe plus de 50 fours solaires dans le monde. En quoi celui de Panatere est pionnier ?
– Les autres fours appartiennent à des instituts nationaux et sont utilisés pour la recherche, ils testent par exemple la résistance aux hautes températures du museau de la fusée Ariane ou des freins à disque de F1. Jamais encore on avait imaginé une utilisation industrielle par une entreprise privée pour recycler des déchets locaux.
– Un four solaire à concentration, c’est une innovation ?
– C’est une technologie qu’on pourrait appeler low tech, elle existe depuis 50 ans. Mais c’est devenu un formidable coup de pied aux fesses à l’hypermondialisation. Plus de 60 à 70% du coût de production de l’acier dans le monde est généré par l’achat d’énergie, charbon, gaz ou pétrole. Si vous n’achetez plus cette énergie, vous arrivez à supporter les salaires suisses et promouvoir les circuits courts.
– Pourquoi La Chaux-de-Fonds ?
– C’est la 2e ville de Suisse la plus ensoleillée et la plus proche de Saignelégier, siège de notre entreprise.
– Le four devait être inauguré en 2022. Le retard est-il dû aux oppositions ou à des problèmes techniques ?
– Les deux ! On a une opposition d’une personne qui fait un blackout systématique sur tous les projets de La Chaux-de-Fonds, mais la Ville et le Canton font un travail remarquable pour trouver une solution. S’est ajouté la grosse déconvenue du fournisseur de la partie optique du four. On a perdu 12 à 18 mois.
– Une nouvelle date d’inauguration ?
– Sachant que nous recevrons des composants juste avant l’arrivée de la neige ; je préfère ne plus prendre le risque de fixer une date d’inauguration (rires).
– Le but, c’est donc décarboner et démondialiser ?
– Absolument ! Et aussi de donner un formidable espoir aux nouvelles générations. Je suis sidéré de voir à quel point les jeunes veulent donner du sens à leur métier. Alors qu’on a beaucoup de peine à recruter en Suisse, nous n’avons jamais reçu autant de candidatures de jeunes ingénieurs qui sont prêts à se délocaliser dans le Haut. Un article dans le New York Times nous a aussi donné une belle visibilité. Le recyclage, l’abandon des énergies fossiles ça devient très sexy.
Vous êtes dans le bon trend…
L’économie circulaire va générer 10x plus d’emplois que la numérisation. Il y a une émulation autour des écomatériaux, véritables mines pour les décharges. La prise de conscience des jeunes que la Terre n’est pas inépuisable contamine aussi les plus vieux !
Même l’industrie du luxe a pris le tournant ?
C’est les jeunes encore qui imposent le luxe durable. Ils sont très exigeants sur la traçabilité des matériaux utilisés, leur recyclage plutôt que leur extraction dans les mines. Aujourd’hui la noblesse des matériaux, c’est leur 2e vie.
Est-ce que dans votre cas ce qui est écologique est aussi économique ?
Clairement oui. Il y a 5 ans nous étions encore dans cette chasse aux centimes à l’autre bout du monde avant que le Covid ne mette en évidence notre dépendance à la Chine. Avec la conscience de donner des métiers à nos jeunes, nous devons produire différemment. Aujourd’hui, toutes les grandes sociétés qui se sont installées en Asie ont un plan de relocalisation.
Personnellement quel a été votre déclic?
Le déclic ça a été un emmerdement ! La difficulté à obtenir de la matière première de qualité. Le marché suisse n’intéressait pas les grands aciéristes mondiaux. D’où l’idée de recycler et de couler nos propres déchets. Tout est parti il y a 7 ans avec la démonstration qu’il n’y a pas de perte de qualité avec un acier recyclé à l’infini.
Le bilan écologique de toute l’affaire, vous l’avez mesuré ?
On l’a fait car notre projet est très exposé au greenwashing. En prouvant que l’on ne ramenait pas discrètement des copeaux de Shenzhen, à coup d’audit indépendant facturé CHF 3’000.- la journée, nous avons assuré notre crédibilité. Notre système permet de réduire 165 fois l’impact carbone de la production d’acier ; c’est absolument gigantesque !
L’hallucinant voyage des déchets
« Il y a une grande omerta dans le business du recyclage, regrette Raphäel Broye. On ne sait pas où vont nos déchets. Pour en avoir le cœur net, nous avons camouflé 7 GPS au milieu de nos copeaux dans des grandes bennes de 5 tonnes qu’on a suivies pendant une année. Nos déchets ont fait en moyenne 42’000 km avant d’être fondus. Ils allaient jusqu’à Shenzhen, étaient revendus en Indonésie, avant de les retrouver ensuite aux Etats-Unis. C’est hallucinant ! »
Plan C du Canton
55 millions pour atteindre la neutralité carbone en 2040
C’est la nouvelle bible du Conseil d’Etat, un plan climat pour atteindre la neutralité carbone demain. Le gouvernement avait fixé le délai à 2050 comme l’Accord de Paris. Le Grand Conseil l’a avancé à 2040 ! Le Canton a-t-il les moyens de ses ambitions ? Faudra-t-il de nouvelles taxes ? Laurent Favre, conseiller d’Etat en charge de l’environnement répond aux questions du Ô.
– Quelle est la différence entre le plan climat du Canton et la loi climat votée par les Suisses le 18 juin ?
– La loi climat fédérale vise la neutralité carbone en 2050. A Neuchâtel, le Grand Conseil a avancé le délai à 2040, ce qui nécessite un engagement plus volontariste de chacune et chacun. Notre plan interagit sur tous les domaines, mobilité, chauffage, agriculture, déchets, etc. Plus d’une cinquantaine de mesures concrètes au total.
La loi fédérale apporte des moyens pour la réalisation du plan cantonal avec une manne confédérale de 200 millions par an sur 10 ans pour favoriser la transformation des chauffages fossiles en chauffages renouvelables. Pour Neuchâtel, ce sont 4 millions par an qui s’ajoutent.
– D’autres différences ?
– Notre plan climat agit sur 2 volets. Réduire les émissions de CO2 et s’adapter au changement climatique.
– Comment ?
– Par exemple en luttant contre les îlots de chaleur en zone urbaine, en assurant une bonne adduction d’eau dans les zones de montagne, en adaptant les essences forestières ou les variétés en agriculture.
– Neuchâtel se réchauffe plus que le reste de la Suisse ?
– Il semble bien que oui ! Un réchauffement de 2,1° C pour le canton contre 2° C pour la Suisse et 1° C pour le reste du monde. Cela montre surtout qu’on doit se mobiliser avec notamment des mesures volontaristes d’adaptation.
– Un plan à 55 millions. Notre Canton avec ses finances dans le rouge a-t-il les moyens ?
– Dans les limites de nos capacités, les moyens devront être trouvés car il est indispensable d’agir. Environ 30 millions étaient déjà acquis par des crédits spécifiques. Les dépenses nouvelles se montent à 23,5 millions.
– Où seront-ils dépensés en priorité ?
– 70% de ceux-ci iront à la réduction des émissions. Sachant que 80% des rejets de CO2 proviennent des combustibles pour le chauffage et des carburants pour la mobilité, ces domaines seront traités en priorité.
Pour ce qui est des bâtiments, travaux d’isolation, pose de panneaux solaires, reconversion des chauffages… Dans le domaine de la mobilité, le futur RER Neuchâtel La Chaux-de-Fonds Le Locle, la réintroduction des trolleybus en ville de La Chaux-de-Fonds, la création de nouvelles haltes ferroviaires aux Forges et à Malakoff… sont des projets déployés depuis plusieurs années qui devraient doubler la part des transports publics d’ici à 2040.
Concrètement, nous allons lancer une offensive photovoltaïque pour mieux utiliser le potentiel des grandes toitures, notamment industrielles et agricoles. Nous travaillons à faire mieux intégrer le solaire dans le patrimoine – Unesco également – par une collaboration entre Canton, villes, Confédération et la recherche appliquée.
– Des subventions sont prévues pour la population ?
– Oui. Pour des travaux d’isolation, la subvention représente 60 francs par m2 isolé, entre 4500 et 7000 francs pour l’installation d’une pompe à chaleur air/eau, entre 6’500 et 12’000 francs pour une pompe à chaleur géothermique, et entre 5000 et 9000 francs pour un chauffage au bois. Ceci vaut pour les bâtiments de taille petite à moyenne. D’autres subventions existent pour la pose de panneaux solaires thermiques. L’incitation financière du propriétaire est encore renforcée par les déductions fiscales.
– Et pour les entreprises ? Le four solaire de Panatere a-t-il reçu une aide ?
– Dans le cas de ce projet innovant, le soutien devrait venir du programme de promotion économique Interreg, qui associe le canton, la Confédération et l’UE. Nous cherchons toujours à aller vers la source la plus généreuse, celle qui permet de multiplier les francs cantonaux de manière la plus importante.
– Le plan climat mise beaucoup sur l’éolien. N’est-ce pas son point faible étant donné les oppositions qu’il suscite ?
– Chaque technologie a ses détracteurs, le solaire et l’hydraulique aussi. A Neuchâtel, le concept éolien a été validé lors d’une votation cantonale avec 65% de oui. C’est vrai que plusieurs projets sont en procédure devant le Tribunal fédéral comme partout en Suisse. Nous avons fait un travail de fond très important pour que l’intégration soit la plus qualitative possible. Il y aura 5 parcs au maximum qui seront nécessaires à l’approvisionnement en hiver, élément important compte tenu des situations géopolitiques.
– Le plan climat est incitatif, non contraignant, sans taxes supplémentaires. Est-ce que ça suffira pour atteindre les objectifs en 2040 ?
– La dynamique est bonne et les résultats intermédiaires encourageants. La volonté du Conseil d’Etat n’est pas de renforcer la fiscalité, bien au contraire. Ce n’est pas avec une nouvelle taxe que l’on arrive à convaincre les gens. On l’a vu avec la loi CO2, la population n’a pas envie de se faire tondre au passage.
L’interview perso
– Votre plan climat au quotidien ?
– Une voiture électrique, beaucoup de vélo… et je planifie l’assainissement énergétique de ma maison dans les 4 ans.
– Le réchauffement climatique vous inquiète ?
– Oui, cela m’inquiète car je vois que dans le monde l’usage du fossile reste la solution de facilité malgré l’impact du réchauffement sur l’agriculture et la nature. Mais c’est aussi une forte opportunité pour l’innovation dans le canton car Neuchâtel joue un rôle pionnier dans la recherche photovoltaïque avec le CSEM.
– Les collapsologues annoncent la fin de notre civilisation industrielle. Ils ont raison ?
– Je pense que l’humanité n’est pas en danger. Mais notre société bâtie sur l’énergie fossile bon marché, elle, est remise en question. Nous devons viser une croissance qualitative et non plus quantitative. Les technologies du renouvelable et plus de sobriété énergétique nous aideront beaucoup.