« Je rentre de Guinée chamboulée et en ayant beaucoup appris »

Justin Paroz

Etudiante en agronomie, Camille Sammali a fait un stage de quatre mois dans des fermes-mères en Afrique. Son récit interpelle

Partir quatre mois dans un pays dit en développement pour travailler sur des projets utiles, tout en étudiant l’agronomie. Camille Sammali l’a fait, dans le cadre de son Master à l’ETH, l’École polytechnique fédérale de Zurich. Avec son ami Ryan, lui aussi ingénieur agronome, elle a rejoint le projet Antenna en Guinée, visant à soutenir les producteurs locaux à travers des principes d’agroécologie. Un travail de terrain mené sur 4 « fermes mères » à travers le pays d’Afrique de l’Ouest. Mais aussi des moments d’échange et de partage avec les Guinéens et leur culture, qui ont bousculé la Chaux-de-Fonnière de 24 ans. « Depuis que je suis rentrée, j’ai le sentiment que tout est surfait en Suisse ! Autant, quand on est arrivé en Guinée on a eu un choc et reçu une claque énorme, autant au retour, avec tout le confort qu’on connaît, c’est difficile de savoir ce qui fait vraiment du sens dans tout ce qu’on a chez nous ». Elle revient pour Le Ô, sur son séjour riche en expériences. Et surtout en enseignements.

« J’ai beaucoup appris d’eux ! », avoue la jeune femme, alors que l’objectif de son stage était d’échanger des connaissances, pour améliorer le rendement et la qualité des cultures. « Il est important de saisir leurs réels besoins. Les écouter et les laisser parler. Pour ensuite leur proposer quelque chose qui leur convient et ressemble à ce qu’ils connaissent. Leur apporter du soutien est une chose. Mais comment le faire en est une autre. Chaque pays à sa culture et ses réalités ; il faut se détacher de cette image du chercheur européen dont le savoir est considéré comme universel. Et je n’avais pas envie de me servir de leur terre comme matériel scientifique pour la Suisse ».

En pratique, l’expérience se complique. « Quand nous leur avons expliqué le système des rotations des cultures, ils étaient motivés. Mais au moment de le mettre en place, ils nous ont dit… que ce n’était pas possible », rigole-t-elle. « On les chamboule pas mal. Et il faut qu’ils soient à l’aise de partager leurs doutes et leurs craintes. Certaines de leurs exploitations sont leur seul moyen de subsistance. Ils sont donc plus réticents à accueillir des techniques n’offrant pas un profit rapide. D’ailleurs, même si c’est un pays sous développé – je n’aime pas ce mot ! –, ils ont accès à l’information avec leur TV et leur téléphone. Ils pourraient bien se passer de nous. C’est pourquoi il est nécessaire d’échanger et de les accompagner ».

 

Piment-gingembre-papaye : cocktail anti-ravageurs !

Au programme, l’élaboration d’un cocktail naturel, à base de piments, gingembre, ail et de feuilles de papaye, contre les ravageurs. « Avec l’agroécologie, on pense parfois qu’on va à l’encontre de la modernité. Que l’abandon des techniques et un retour en arrière. En réalité, c’est utiliser les savoirs qu’on avait avant pour les remettre au gout du jour. Redécouvrir ces pratiques pourrait être une belle opportunité aussi en Suisse ». Allier des sujets d’agriculture et des perspectives de changement ailleurs, c’est ce qui l’intéresse. « Ici, beaucoup de choses sont déjà en place. C’est un secteur assez fermé aux nouvelles innovations. Surtout agroécologiques et pas avec des moyens technologiques hors de prix. En allant en Guinée, je ne souhaitais pas seulement apporter quelque chose de moi, mais aussi découvrir d’autres idées que l’agriculture suisse ».

 

Des solutions plutôt que des problèmes

Elle reconnait d’ailleurs que la théorie vue en cours ne lui a pas beaucoup servi face à la réalité du terrain. « A Zurich, les cours sont très axés sur les nouvelles technologies. Je m’intéresse plus à la culture bio et l’agroécologie, d’où la volonté de partir dans un pays en développement ». C’est l’esprit pratique acquis durant son cursus qui l’a aidé. « Trouver des solutions, plutôt que pointer des problèmes. A la fois nous avions une immense autonomie, et en même temps un statut d’aide humanitaire. C’était spécial. En arrivant là-bas, j’avais l’impression que je ne savais rien. Et oui, j’ai beaucoup appris des Guinéens ! Aussi de leur joie de vivre, malgré la dureté de leur situation ». De retour en Suisse, elle a présenté le bilan de son stage en cours.

Un bilan académique, mais surtout humain. « Je retire de tous ces échanges avec les gens l’ouverture qu’il faut avoir. Et qu’eux ont aussi. Le partage des éléments de leur culture. Apprendre à s’accepter et essayer de ne pas s’imposer ».

 

Notre monde perd le bocal…

Si la betterave a par exemple su trouver grâce aux yeux des cultivateurs de la ferme mère, où carottes, tomates, manioc, blé et autres ananas poussent bien grâce au puits dont elle dispose, la saisonnalité des pluies est un facteur compliquant les plantations.

Le dénuement matériel des Guinéens, dont le pays est l’un des 20 plus pauvres au monde, quand bien même son sol recèle des trésors dont la moitié de réserve de bauxite de la planète, est un autre frein. Un exemple ?

Un Guinéen produit de la confiture d’ananas délicieuse, dont la recette lui a été apprise par un voyageur français. Il en est fier mais dit n’en avoir que très peu quand on veut lui en acheter. La raison laisse les bras ballants : « Il y a plein d’ananas, oui. Mais ici, c’est très difficile de trouver bocaux et couvercles ». De quoi méditer sur notre monde qui perd… le bocal.

 

www.solidaritesuisseguinee.org

 

Un travail d’équipe à instaurer ! Debout, Ryan, Boubacar et Baba, puis Korka, Camille, Monsieur Bah, le gardien de la ferme. (Photo : gs)
Un travail d’équipe à instaurer ! Debout, Ryan, Boubacar et Baba, puis Korka, Camille, Monsieur Bah, le gardien de la ferme. (Photo : gs)

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