Maisnon-Monsieur !

Vincent Kohler

Maison-Monsieur, son silence, ses huit maisons presque closes, son dortoir, son hôtel vide, sa terrasse muette, ses truites en sursis, sa source, ses barques de pêcheurs amarrées, ses sonneurs aphones, sa buvette, son Caprice, ses quelques âmes qui vivent, son Doubs. Eaux lentes, ô noires. Beauté magique, tableau de Courbet.

Quelques hérons, le cri du car postal en rut, puis comme chaque jour, le tremblement terrible de la transhumance des gnous au diesel qui grimpent le plus vite possible la côte, faisant crisser leurs sabots de caoutchouc dans le petit matin frais pour aller remplir dans les hautes plaines fertiles leur panse déjà bien grasse. Puis les motos, puis les vélos, puis les gnous, puis le car postal, puis plus rien… dans un cycle immuable.

Mais voilà que débarquent les Tesla furtives et leurs investisseurs dans une rutilance suspecte. Ils ont racheté l’hôtel. Des gens pas d’ici qui ne savent même pas faire une truite au bleu. Des arrogants.
Avec tout ce qui va avec : costards éco-chics, spa plein de champi, luxe en bouteille, stations de recharge, la déferlante économico-Greenwashing from Definitively Different Group with ses so good economical Hydraloop à la mords-moi-le-nœud. On comprend que la communication sans interprète anglophone puisse être difficile avec les autochtones qui ne communiquent que par la langue des cygnes du Doubs. Avec le p’tit plus : la privatisation du parking, les pêcheurs n’ont qu’à venir à pied, ça leur fera les bottes. Mais revenons à la source du problème, car c’est bien la source le problème. Les proprios ne manquent pas d’air mais les habitants risquent bien de manquer d’eau. La buvette fait son caprice et elle a bien raison. La Tchaux s’en lave les mains : pas d’eau pas de chocovo.

On est dans le Pagnol jusqu’au cou. Maison-Monsieur, c’est Maisnon des Sources. Petit rappel : il est dangereux de s’aventurer dans le lit du Doubs, ses eaux pouvant monter aussi rapidement qu’elles disparaissent.

 

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