Un été grunge

Bernadette Richard

2023 ou l’été le plus grunge depuis l’apparition de ce terme pour définir le mouvement punk-metal dans les années 1960, qui signifie « crasseux ». Il prit son envol et sa gloire explosa entre 1980 et 1990 à Seattle, soutenu par toute la musique underground dérivée du rock. C’est l’ère Kurt Cobain. Si, à ce moment-là, les parents hurlent au laisser-aller absolu de leurs ados qui ne se lavent plus – enfin, encore moins qu’un ado normal –, le grunge a imposé sa loi au monde entier et aujourd’hui les bobos l’ont adopté, mais revu, corrigé, aseptisé, lavé, soigneusement contrôlé. Qu’on pense aux trous dans les jeans, savamment conçus, y compris les fils qui pendouillent. Le grunge est mort et ressuscité avec une grâce petite-bourgeoise… Enfin, il a laissé la porte ouverte au plus parfait mauvais goût, aux bourrelets qui s’affichent désormais sans vergogne, aux corps les plus dégénérés.

Or, si quelques rares élus affichent avec panache un look grunge résolument tendance et même sophistiqué – faut y mettre le prix ! –, il est recommandé de l’adopter de préférence en hiver, quand les corps hideux de notre époque vouée à la mal-bouffe dissimulent des caricatures tout droit sorties d’un Fellini.

Suintant, lourd, humide, l’été 2023 a révélé la puissance de suggestion de la grungerie appliquée au quidam lambda. Plus besoin de se repaître de films d’horreur, suffit de se balader dans les rues, rôties au soleil du réchauffement climatique. Mais voilà, tout a une fin, même les canicules – pour le moment ! Atterré par le spectacle de l’humanité décadente, le mercure a pris l’ascenseur pour des zones plus fraîches. Et moi, je ne verrai plus mon détestable reflet grunge dans une vitrine.

 

Dernière parution : Dernierconcert à Pripyat, L’Âge d’Homme éditeur, prochaine parution : la Chambre noire, Favre éditeur, automne 2023

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