La guerre perdue de Vladimir Poutine

Olivier Kohler

Observateur attentif du conflit en Ukraine et de ses répercussions sur le plan international, le politologue français Pascal Boniface était l’invité du Club 44.

« On aurait pu éviter cette guerre si on avait mené une politique plus intelligente avec la Russie. » C’est le constat de réflexion de départ de Pascal Boniface qui confie à son auditoire que le 22 février 2022, jamais il n’aurait cru au déclenchement d’une guerre au cœur du continent européen. Une onde de choc géopolitique mondiale. Cette guerre à l’issue encore si incertaine a déjà ses gagnants et ses perdants. A commencer par le maître du Kremlin. « Vladimir Poutine a perdu la guerre. Il pensait être accueilli en Ukraine en libérateur. Il a été accueilli en envahisseur. Il a perdu, car il a été aveuglé. Il avait restauré la grandeur de la Russie et développé son économie. Il en a révélé la faiblesse et a renforcé le leadership américain sur le monde occidental avec la montée en puissance de l’OTAN dont l’expansion aux portes de la Russie était devenue pour lui obsessionnelle. »

A ses yeux, l’autre grand perdant de la guerre, c’est l’Europe, en tout premier lieu la France et l’Allemagne, dont le modèle économique est confronté à une récession et à de grandes difficultés. « On le voit avec l’inflation. Engagée aux côtés des Etats-Unis, à qui elle achète son gaz quatre fois plus qu’elle ne le faisait auparavant avec la Russie, l’Europe commande massivement des armes à Washington. Les grands gagnants de cette guerre, ce sont incontestablement les Etats-Unis. » Le politologue met aussi en garde contre la myopie occidentale à l’égard de l’Ukraine, présentée comme un modèle de vertu démocratique, candidate pour l’adhésion à l’Union européenne. « Un pays meurtri par la guerre, mais aussi par la corruption endémique de ses élites politiques et par la gloutonnerie de ses oligarques. »

Emmanuel Macron estimait avant le conflit que l’OTAN était en état de mort cérébrale. Elle n’a jamais été autant puissante. « Aujourd’hui, c’est l’autonomie stratégique européenne qui est en grand danger. L’Ukraine ira toujours chercher ses instructions aux Etats-Unis. On risque d’assister à l’émergence d’une Ukraine dans la posture d’un cheval de Troie américain sur le territoire européen ». L’impact de ce conflit bouscule aussi les équilibres et les rapports de forces mondiaux. « Cette guerre agrandit le fossé entre l’Ouest et le reste du monde. C’est la fin de la parenthèse de l’Occident vertueux et dominant. On n’a plus le monopole de la richesse dans le monde. Le Sud Global gagne en influence et ne veut plus se faire dicter sa loi au nom d’une universalité devenue pour beaucoup inaudible. »

Pascal Boniface
Pascal Boniface

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