L’incendie

Sylviane Chatelain

C’était bien elle.

C’était de son toit que sourdait la lourde fumée brune qui s’amoncelait entre le faîte et le ciel.

La route était barrée. Les pompiers couraient, dressaient leur échelle. Les passants s’arrêtaient, nez en l’air, attendaient comme moi les flammes qui, longtemps étouffées, brusquement délivrées, ont soudain déchiré la charpente, brisé les tuiles, avalé la fumée.

Le toit crevé, effondré sur le grenier. Là où je m’avançais, courbée dans la pénombre sous le plafond bas, quand on m’envoyait chercher, soigneusement rangées dans leur carton, les boules et les guirlandes du sapin de Noël.

J’ai fermé les yeux, les ai rouverts pour constater que les flammes jaillissaient à présent d’une des fenêtres.

La fenêtre de ma mère.

Où souvent elle se tenait quand je rentrais de l’école. Je levais la main, elle me faisait signe.

Où, après sa mort, demeurait son ombre que je saluais en passant. Et, derrière elle, les lieux intimement connus, imprégnés de la présence de ceux que j’avais aimés.

Où, patients et silencieux, il me semblait qu’ils veillaient encore.

Je m’étais approchée, alertée par les sirènes, de plus en plus inquiète. C’était bien elle que le feu dévorait, la maison de mes parents, la maison de mon enfance. Ma maison, même si je n’y habitais plus depuis longtemps, même si elle était occupée par d’autres qui, je l’ignorais encore, auraient le malheur de perdre l’un des leurs dans l’incendie.

Condamné à se tordre au cœur de ce brasier, un précieux, irremplaçable album de souvenirs jeté dans les flammes, ses pages et ses photographies noircies, recroquevillées, bientôt anéanties.

Et mes mains tendues, impuissantes, pour les sauver, pour me défendre du temps qui nous emporte en nous dépouillant, qui nous oblige à des adieux, des deuils incessants.

 

 

Dernières publications : Déchirures (2018), La Boisselière (2014), Bernard Campiche Éditeur

 

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