François Hainard réinvente Zorro en sauveur de l’environnement

Giovanni Sammali

Dans son dernier roman, le sociologue se lance dans la lutte écologiste. Un jeune des favelas de Sao Paulo, devenu journaliste, échoue à sauver un rare biotope. Mais…

Au Brésil, à l’aube… Un combat pour la forêt. Dès le titre de son dernier roman, François Hainard précise la cible. Plutôt que de le sous-titrer Roman d’écologie politique, le sociologue aurait d’ailleurs pu franchir le pas et oser, même si le qualificatif le choque, « écologie terroriste », et ceci quand bien même le héros de son livre, Roberto, est un Zorro des temps modernes bien pacifiste. Son rêve, que l’auteur avoue avoir partagé, de devenir journaliste à peine exaucé, cet enfant des favelas livre de sa jeune plume une bataille pour sauver un rare biotope des faubourgs de Sao Paulo. Il le paiera très cher : sa compagne sera torturée et tuée, lui-même va disparaître sans que l’on retrouve son corps. Mais son combat – dans le roman du moins – éveille les consciences, déclenche des vocations et des actions. Les Brigades Roberto Jordani frappent les spéculateurs capitalistes sans scrupules. Mais là aussi : leurs attentats sont prudents et bon enfant. Trop sages, en regard de l’urgence climatique ? Et de la vitesse du saccage planétaire perpétré par notre société de consommation ? L’auteur se défend de tirer à blanc. Interview.

– L’idée de ce roman ?
– C’était il y a 4 ans. Un voyage vers le Pantanal, un des plus grands marécages du monde sur la frontière bolivienne, trois fois la surface de la Suisse. Une faune et une flore fabuleuses. En traversant en voiture pour se rendre vers ce biotope, j’ai vu sur plus de 1000 km la progression des étendues de champs de soja, de canne à sucre, … et plus un arbre ! Je me suis dit ce n’est pas possible, je dois dire quelque chose.

– Pourquoi y placer au début le MMA, sport de combat extrême ?
– Pour d’aucuns le MMA est la pire des violences. À tort : les règles sont acceptées, partagées, arbitrées. En revanche les violences extrêmes sont celles des inégalités sociales, dans les favelas où vivent 40 millions de Brésiliens, et le saccage de la nature.

– Le récit des combats est criant de vérité : on sent la griffe du connaisseur…
– Merci ! Je pratique le Krav maga, donc j’ai une idée des sports d’autodéfense et un peu de combat. J’ai vu du MMA à la TV. C’est bestial, mais encore une fois, tout est réglementé et les adversaires sont d’accord… Pour le frère de mon héros, c’est la seule voie pour s’extirper de la favela…

– En revanche, Roberto et les Brigades à sa mémoire n’ont rien de cette violence extrême. Pourquoi ?
– Ils sont contre la violence physique sur des personnes. Ils ne veulent ni blesser, ni tuer ! Ils sabotent des sites, des bâtiments de sociétés qui saccagent sans scrupules la nature. L’objectif est d’enrayer la machine destructrice.

– De si « gentils » attentats, un brin fleur bleue ?
– J’ai cette utopie de croire que cette violence matérielle et ces éco-sabotages réveillent vraiment le monde. Je sais qu’on en est loin, pour l’heure : on gueule quand un activiste colle sa main sur la route… Mais dans le même temps, on voit que la grève pour le climat et les manifs « gentillettes », ne servent à rien. Le scénario d’un large soulèvement et de certaines destructions matérielles n’est pas impossible. La déception et les tensions deviennent telles qu’elles risquent d’y conduire.

– Vous espérez que votre roman serve la cause environnementale ?
– Oui, c’est le but. Des gens m’ont déjà dit : « tu as raison. Ça va finir comme ça » ! C’est le seul espoir pour la planète. Et à défaut de cet espoir, il nous restera… à gérer la fin de l’humanité.

– Nature, biodiversité, grands prédateurs : complexe…
– Je viens de la campagne, et je pleure la mort lente des forêts derrière ma maison dans la Vallée de Brévine (réd : lire sa Tribune du Haut du 18 août 2023). On peut se réjouir du retour d’un gros prédateur comme le loup, mais à mon sens il n’est pas représentatif d’une amélioration de la biodiversité. Ce sont des éléments alibis qui cachent le désastre de la nature. Je ne dis pas qu’il ne faut pas de loup, d’ours ou de lynx. Mais il faut qu’il y ait une vraie gestion. En écoutant les spécialistes, par exemple en tirant des jeunes animaux et non pas des anciens, ce qui désorganise les meutes. Mais écoute-t-on encore les scientifiques, les cris d’alarme, les rapports du GIEC qui analysent si clairement que nous sommes dans l’urgence. Reste que la chute de la biodiversité, celle de mon enfance, les champs de fleurs, les grenouilles, les alouettes, les Grands Tétras, les insectes sur les pare-brises, les taons qui bouffaient les chevaux et nos mollets !, toute cette dégringolade, je la vis.

– Votre espoir ?
– Mon roman est rude pour mes combattants, mais la fin est positive. Il y a un réveil. Les populations prennent conscience de l’urgence de l’enjeu, et s’empressent d’élire des décideurs intègres et déterminés, qui ne sont pas à la solde de lobbies et de richissimes qui font tourner la machine pour leur seul intérêt personnel.

– La responsabilité sociétale du commun des mortels n’est-elle pas noyée dans les réseaux sociaux ?
– On y trouve des thématiques environnementales explicatives et en lien avec la biodiversité. Les jeunes y débattent, alors qu’ils ne lisent plus les journaux. C’est donc aussi là qu’une partie du match se joue.

– Le GIEC a dit que trop d’info sur le climat a un effet inverse sur la prise de conscience…
– Voilà pourquoi je pense qu’il faut travailler avec des exemples concrets et communiquer régionalement. La tempête du 24 juillet sur la ville a secoué, déraciné et fauché pas que des arbres : il y a aussi un paquet de fausses idées reçues qui ont fini au tapis. Aussi parce qu’une telle tempête peut se reproduire l’an prochain.

– Comment voyez-vous la planète en 2040 ?
– Malade, avec des soubresauts de conscience…

– En 2050 ?
– Très malade. Mais avec l’émergence d’une plus grande lucidité politique. Et un virage vers la durabilité, seule voie de survie…

– En 2100 ?
– J’ai le sentiment qu’il y aura deux camps. Ceux qui s’en sortent encore, dans l’hémisphère nord. Et le Sud qui vivra une catastrophe généralisée, avec des migrations gigantesques car on y crèvera de faim plus qu’aujourd’hui.

– Un lien entre le combat citoyen pour sauver le champ de Bellevue et votre livre ?
– On est dans la même spirale : il y a assez d’appartements, mais on en construit encore sur un espace vert. C’est la logique d’un monde qui a perdu la boule. On est dans le toujours plus, dans le trop. On ne sait plus où est la limite…

– La voie du salut ?
– Elle ne peut être que collective. Il faut légiférer pour sauver notre biodiversité et mettre l’accent sur les énergies renouvelables.

 

Au Brésil, à l’aube… Un combat pour la forêt (Éd. L’Harmattan, 2023), Exutoires (Éd. du Roc, 2020), Le Vent et le silence (G d’Encre, 2017)

 

La légion des combattants du climat

Les combattants pour l’environnement sont devenus légion. Dans la réalité, à l’image des mouvements né autour de l’émergence d’une Greta Thurnberg ou avant elle d’un José Bové ou d’un Fernand Cuche. Ces héros du climat fleurissent aussi dans les fictions, où ces Zorros de la nature, frappent de plus en plus fort. De l’écologie punitive d’Olivier Norek, dans « Impact » (Michel Lafont, 2020), ou plus avant, les Brigade du Salento dans le roman « SOS Salento, destination cancer » (Éd. G d’Encre, 2014), ou « Les Brigades vertes » de Paco Porter (Flammarion, 2011), qui radicalisent leur actions sympathiques du début faisant virer l’espoir du vert au rouge sang…

Parmi les romans d’écologie, pensez à « La fin d’où nous partons », de Megan Hunter (Gallimard), « Le sens des aiguilles d’une montre », de Clothilde Tronquet, « La fonte des glaces », de Joël Baqué (P.O.L.), « Règne animal », de Jean-Baptiste del Amo (Gallimard), ou encore, « Les racines du ciel », de Romain Gary (Gallimard).

Un romand au Brésil, d’où est originaire son épouse, pour François Hainard. Le sociologue croit au pouvoir des éco-sabotages de ses héros pour stopper le saccage de l’environnement. (dr)
Un romand au Brésil, d’où est originaire son épouse, pour François Hainard. Le sociologue croit au pouvoir des éco-sabotages de ses héros pour stopper le saccage de l’environnement. (dr)

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