L’homme qui aimait filmer les femmes

Olivier Kohler

Figure de La Tchaux, Alain Margot a été emporté par un cancer. Il lègue un héritage culturel immense

Un profond choc. Une immense tristesse. Cette tâche horrible qui m’incombe que devoir te rendre hommage dans l’urgence entre larmes et chagrin alors que les horreurs de l’actu internationale s’enchaînent, toi qui suivais les tumultes du monde avec effroi et distance.

En 1988, tu étais devenu une vedette du petit écran, avec tes reportages chocs dans l’émission culte le « Grand Raid Le Cap-Terre
de Feu ». Au volant de ta Citroën, tu as fait le tour du monde. Tu as captivé les téléspectateurs romands en imprimant un style de narration unique. Audace et transgression. Esthète sensible. Observateur poétique d’une humanité désenchantée. De Bogota à Pékin, en passant par le continent africain, tu nous as emportés, subjugués, fait rêver. Je n’imaginais pas alors, encore adolescent, que je partirais un jour en reportage avec toi. Une chance immense.

En 2011, pour Temps Présent, à la rencontre du mouvement néo-féministe Femen. Les trains de nuit à explorer avec toi l’Ukraine. Samovar, babouchka et vodka. Vertigineux de découvrir ce pays et découvrir les prémisses d’une guerre à venir. Un long métrage, récompensé en 2014 par le grand prix du Jury à Vision du Réel, qui a fait naître ta passion profonde pour Oxsana, la plus iconique de tes nombreuses muses, disparue bien trop tôt à Paris, épuisée et profondément affectée par la superficialité des êtres et les trahisons des militantes de la première heure. Son suicide et le basculement de l’Ukraine dans l’horreur t’ont profondément affecté.

En 2004, on part sur les traces de Nicolas Bouvier et de la tragédie yougoslave. Au volant de mon Alfa 156, on fait la route des Balkans. Nous partons de nuit après une ultime soirée au restaurant de l’Abeille – toi, moi et mon frère Vincent. Vertigineux. Trieste. Vukovar. Belgrade. Surdulica. Rencontre inoubliable avec ces gitans. Des génies et des virtuoses de la trompette dans la ferveur de Surdulica. Deux ans plus tard, on sortait le film à la RTS. Hotel Serbija, projeté sur grand écran, en avant-première, devant un parterre de 400 musiciens gitans dans une salle de cinéma de l’époque de Tito. Cinema Paradiso. Tu vas tellement nous manquer mon Gum – toi qui as hérité de ce surnom durant tes années d’études à l’Académie des Beaux-Arts de Lausanne, avec François Junod, créateur d’automates de génie.

Très vite tu as su imprimer une marque de fabrique avec ton talent créatif unique. Tes extravagances poétiques gravées à même la pellicule. Ta passion pour la danse et la musique. Tu nous lègues un héritage culturel gigantesque. Qu’il s’agisse de ton œuvre monumentale du Train Fantôme, du clip culte avec les Rita Mitsouko et les innombrables pépites réalisées dans l’intimité de ton studio de montage, ton œuvre inspire un immense respect. De Paris, en passant par Bruxelles, La Chaux-de-Fonds et Kiev. Ta disparition plonge plein d’artistes dans un profond chagrin. On ne t’oubliera jamais, on t’aime très fort, Alaintchick.

Alain Margot et sa fameuse caméra super 8, symbole de son génie créatif. (dr)
Alain Margot et sa fameuse caméra super 8, symbole de son génie créatif. (dr)

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