Notre rapport aux animaux croqué sans concession

« instinct animal » : Le Musée des Beaux-Arts du Locle (MBAL) surprend à nouveau les visiteurs par l’acuité de son regard sur une question qui divise la société

Au MBAL, on parle arts plastiques, certes, mais également philosophie, histoire, éthologie, anthropologie, écologie. S’il est un domaine qui occupe médias, réseaux sociaux, éditeurs, chercheurs, quidams ordinaires et politiques (peu empathiques : à voir le soutien de Macron aux chasseurs français, et la chasse aux loups chez nous), c’est bien notre relation avec le monde animal. La directrice du MBAL, Federica Chiocchetti, et son équipe ont exploré divers aspects de l’instinct animal, où les arts plastiques contemporains dialoguent avec les œuvres plus anciennes du musée. Il est évident que depuis toujours, l’homme, qu’il soit artiste ou scientifique, est concerné par son lien aux bêtes en tous genres.

Dès la salle du haut, le ton est donné : comment les abeilles réagissent-elles aux pesticides ? Imaginons un monde sans pollinisateurs. Simple : les humains disparaissent. Les abeilles shootées aux pesticides ne retrouvent plus le chemin de la ruche, elles sont déboussolées, elles ont perdu leur instinct. Le collectif APIAN, qui cherche à protéger la petite Maya, sollicite l’attention concernant les pratiques apicoles post-capitalistes.

À l’étage au-dessous, L’oiseau bleu de l’artiste suisse Irène Grundel est à la fois majestueux et surréaliste. Il cache un cabinet de curiosités constitué d’objets hétéroclites issus des collections du MBAL et du MUZOO.  Viennent des oeuvres classiques : Le Taureau du Corbusier, qui fait écho à des œuvres de l’art inuit, à Marc Chagall et aux créations de Robert Hainard, artiste animalier par excellence, qui regrettait que les humains se soient coupés du monde sauvage.

La vie et la mort apparaissent de manière symbolique : la Suissesse Pamela Rosenkranz présente des tableaux roses, où sont cachés des serpents. Ses œuvres font face à une petite sculpture de serpent qui observe les visiteurs, l’air de demander : notre venin est-il mortel ou curatif ? Des estampes d’Aimé Montandon et de Gustav Kluge complètent la section.

Apparaît la curieuse vidéo de l’artiste italien Emilio Vavarella, qui explore les relations entre l’homme et le pouvoir technologique. Son Animal Cinema repose « sur le montage de séquences montrant des animaux manipulant en toute autonomie des caméras GoPro dont ils se sont emparés ».

Autres images : l’installation visuelle du créateur anglais Patrick Goddard (qui travaille notamment sur l’Anthropocène et l’animal) montre une jeune femme et sa chienne dialoguant lors d’une visite dans un zoo. Sacré programme, à la fois drôle et déconcertant, tel cet autre film qui montre la vision que le chien a de son environnement.

Une section de l’expo est consacrée au concept de zoo en zone de guerre, en l’occurrence à Gaza. Maltraitance animale, bombardement, malnutrition, stress post-traumatique des animaux enfermés. À Gaza, c’est le taxidermiste qui au final présente les animaux dans leurs cages.

Un lapin et des espions à poils, à plumes
La sculpture du Lapin noir (polystyrène, résine époxy, peinture acrylique) de la Japonaise Keiko Machida invite à poursuivre la visite. Le lapin souligne les rapports ambigus entre l’humain et l’animal. Il est enfermé dans une minuscule prison pour être tué et mangé ou considéré comme animal de compagnie. Que fait-il de son instinct qui le pousse à explorer de grands territoires ?

Arrive l’installation de la Polonaise Marta Bogdanska, un mur d’images d’animaux utilisés en temps de guerre, devenant espions, soldats, kamikazes. Un ensemble qui dénonce la domination des humains sur les animaux, mais qui montre aussi la révolte et la résistance de ceux-ci.
Au rez-de-chaussée, nos amis les bêtes se muent en artistes sous la direction des soignants du MUZOO. Rien à redire, leurs œuvres valent largement celles de nombreux artistes humains ! Mais comment ont-ils été incités à « créer » ?

Au MBAL, les enfants ont leur salle, où s’exprimer, se cultiver, se détendre. Avec le magazine La Salamandre, ils peuvent aborder la question des grands prédateurs, lynx, loup, ours.

Enfin, en dégustant un café au shop-bar, le visiteur apprend que les « ours se sont associés à une organisation non-humaine (ONH) pour concevoir des produits destinés à perfectionner la qualité de vie dans la forêt et à éloigner les êtres humains. Voici un répulsif humain pour les ours » !

Et Le Ô adresse ce coup de chapeau : oui, Federica Chiocchetti propose une expo haut de gamme qui rivalise avec celles des plus grands musées.

Musée des Beaux-Arts du Locle (MBAL) jusqu’au 25 février

Irène Grundel: L'Oiseau bleu, bois, plâtre, cire, découvert dans les collections du musée, MBAL. Au-dessus, Marc Chagall : Le renard et les poules d'Inde. s.d., eau forte, MBAL
Irène Grundel: L'Oiseau bleu, bois, plâtre, cire, découvert dans les collections du musée, MBAL. Au-dessus, Marc Chagall : Le renard et les poules d'Inde. s.d., eau forte, MBAL

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