C’est l’histoire peu connue d’un Loclois parti dans les années 1940 en Colombie pour y capturer des animaux sauvages. Qu’il vendait aux zoos du monde entier et, sous forme naturalisée, au Musée d’histoire naturelle de La Chaux-de-Fonds, devenu Muzoo. Cet aventurier installé dans la ville côtière de Barranquilla entre les singes et les crocodiles était Paul Schnegg. Son frère Alfred n’était autre que l’archiviste de l’État. Deux destins que tout oppose. Mais pendant vingt-cinq ans ils ont échangé près de quatre cents lettres, dont la dernière édition de la Nouvelle Revue neuchâteloise* publie des extraits. Une correspondance passionnante, relue et mise en perspective par Olivier Schnegg, fils d’Alfred et neveu de Paul.
Il répond ici aux questions du Ô.
– Qu’avaient en commun ces deux frères, l’aventurier et l’archiviste ?
– Une fidélité familiale, un attachement à notre région mais aussi un intérêt pour la nature, Paul pour le monde animal, Alfred beaucoup plus pour le monde végétal.
– Que racontent leurs lettres ?
– Paul raconte sa vie d’expatrié en Colombie, la difficulté à comprendre un peuple aussi éloigné de sa culture, et ses voyages pour trouver des animaux exotiques. Il commente aussi l’actualité
mondiale dominée par les États-Unis, Cuba, les dictatures d’Amérique du Sud. En échange, Alfred lui envoyait tous les mois une liasse de Gazettes de Lausanne depuis la gare de Neuchâtel. Il y cachait parfois un couteau suisse dont mon oncle avait besoin.
– Pourquoi était-il parti ?
– Il y avait l’envie d’élargir son horizon, un peu restreint au Locle, sa passion pour les animaux, et sans doute aussi le besoin de claquer la porte d’une famille qu’il trouvait un peu trop austère.
– Quel était son job ?
– Il gérait toute une équipe avec laquelle il allait négocier des animaux. Il avait de nombreuses cages où l’on trouvait des perroquets, des jaguars, beaucoup de singes… Les soins quotidiens à leur apporter occupaient bon part de son temps.
– Inimaginable aujourd’hui. Pas de préoccupations éthiques à l’époque ?
– C’était un commerce en plein essor sur lequel on n’avait pas le regard critique d’aujourd’hui. Jusque dans les années 1960, on voyageait moins. Son but était de rendre accessible la faune exotique à nos populations. Les choses ont bien changé, même le cirque Knie a renoncé à présenter des tigres et des lions.
– Comment expédiait-il ces animaux ?
– Ils voyageaient dans des caisses. Dans sa correspondance, Paul se montre très préoccupé par les conditions de transport éprouvantes et les risques sanitaires pour ces animaux. Il étudiait les horaires des compagnies aériennes pour que les trajets soient le plus court possible. Dans ses lettres, il se plaignait des retards pris par l’agrandissement de l’aéroport de Barranquilla. L’arrivée des premiers avions à réaction a été pour lui un grand soulagement.
– Combien d’animaux a-t-il envoyé au MHNCe La Chaux-de-Fonds ?
– Une quarantaine, déjà empaillés ou sous forme de peau pour être naturalisés. Parfois il demandait au musée de lui envoyer un scalpel ou de la pommade arsenicale dont il avait besoin sous les tropiques où la putréfaction est rapide. Il insistait pour le faire discrètement afin d’échapper aux douanes et à la corruption.
*Nouvelle Revue neuchâteloise,
Paul Schnegg (1916-1985), une passion singulière pour la faune colombienne