Les chroniques élastiques : Au commencement

René Gori

Tout a un commencement, mais parfois la chose elle-même ne sait rien de son commencement. Pour ma part, je ne sais pas quand j’ai commencé, mais je sais que je continue. J’ai un soupçon sur le début, cet instant où est apparu le point de départ. Je me trouvais à la rue des Cigognes. Imaginez quelques façades décorées de lierre et de sarments. L’alignement des habitations est courbe. De la première maison, on ne distingue pas la dernière. En avançant, chaque pas révèle un mystère. Sur le chemin se dévoilent les vitrines des petits magasins. Rien de moderne, seulement la nostalgie d’un passé que je croyais disparu.

Les habitants ont tiré une chaise sur les pavés et papotent à propos des morts et des mariages. Juste avant midi, la galopade des enfants revenant de l’école trouble la tranquillité. En été s’y ajoutent les cris aigus des hirondelles. Je ne savais pas qu’un tel lieu existait encore à Utrecht. Derrière la vitre d’une brocante, entre un samovar et une collection de poêles à frire, j’ai remarqué une écritoire, réservoir d’encre noire, et posé dessus, relié en cuir, un livre de pages blanches. J’ai acheté le tout et j’ai écrit mon premier paragraphe.

Je m’appelle René Gori et j’habite au bord de l’eau, à côté d’un canal. Sur l’autre rive, un arbre, un lampadaire et un banc. Comme je suis curieux, j’observe la silhouette d’une femme assise. Perdue dans sa lecture, dissimulée, sereine, elle tourne les pages d’un livre. Je ne devine que les sourcils. Dans mon grimoire, je tiendrai chronique jusqu’à ce jour où, par un soleil de printemps et une brise d’espoir, je distinguerai l’entièreté de son visage.

Dernière parution : Traité sur l’application intelligente de la musique dodécaphonique, éd. Epuisées, Utrecht, 1970, (épuisé).

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