Pour ceux qui s’en souviennent, dans la brocante de la rue des Cigognes, j’avais acheté une écritoire.
Mon regard avait été attiré par des babioles étalées derrière la vitrine et j’avais franchi la porte du magasin. La sonnette reproduisait le son de « Big Ben », le « Grand Ben » de Londres.
De la réserve, située à l’arrière, parvenait un bruit de pas s’approchant. Le rideau s’est écarté et le marchand, un petit homme bossu, est apparu. Il était tiré à quatre épingles, des élastiques retenant les manches de sa chemise, un gilet lustré auquel il ne manquait aucune pression. Un pantalon d’une coupe serrée. Des chaussures noires, pointe cuivrée, lacets, double nœud, et un sourire avenant. Il s’est installé derrière le comptoir, extrayant d’un tiroir une boîte métallique contenant des pistaches. Sans rien dire, il a versé le contenu entre nous et nous avons commencé à les croquer les unes après les autres. Plus loin, sur le marbre, vers la caisse enregistreuse, trônait un petit singe empaillé, vêtu d’un costume de fanfare aux boutons dorés. L’animal affichait un rictus désinvolte. Devinant ma curiosité, le marchand expliqua que la bête était morte, paraît-il, de la grippe espagnole.
Il sembla que la pupille de l’étrange chose se dilata brièvement, un peu comme un prédateur s’assure de la trajectoire à suivre afin de saisir sa proie. Je n’étais pas sûr d’avoir vu ce que j’avais vu, mais je suis un homme prudent. J’ai payé le prix demandé et je suis reparti avec l’écritoire.
Je l’ai posée devant ma fenêtre, à l’endroit d’où l’on aperçoit l’arbre, le lampadaire et le banc.
Aujourd’hui, il n’y a personne.
Dernière parution : Mode d’emploi sur le bon usage des passoires (épuisé), Utrecht, éd. Epuisées, 1970
*Nom d’emprunt. Identité connue de la rédaction