Un chic type

Bernadette Richard

Jour de brouillard chez Emmaüs, l’un de ces lieux où se côtoient dans la bonne humeur une multitude de langues. Ici, moult commentaires sur des fauteuils, très esthétiques – selon le bon goût occidental dans le domaine du design. Ils ne plaisent pas à un couple qui applaudit au kitsch de la chaise voisine. Biscornue et fanfreluchée, elle aurait pu appartenir à Louis XIV. À chacun sa tasse de thé. Chez Emmaüs, on est apparemment plutôt café…

Une vieille dame à l’œil connaisseur repère dans le fatras des encadrements une estampe qui vaut bien davantage que les dix balles exigés. Elle est fatiguée, passant de fauteuil en canapé, non pour les tester, mais pour reprendre son souffle. Soudain, elle repère l’étagère qu’elle cherche depuis six mois. Bonnes dimensions, pas vraiment belle. Neutre, elle passera inaperçue. Mais il faut la transporter. Son dos ni son âge ne lui permettent plus ce genre de gymnastique. Elle explique à l’employé qu’elle paie à l’instant et qu’elle passera, avec un ami, l’embarquer sous peu. Tout baigne, au revoir, bon week-end.

Alors qu’elle remonte péniblement les escaliers direction parking, un gars, la trentaine, la rattrape et lui propose de déposer l’étagère chez elle. Elle est si surprise qu’elle reste muette, se demandant où est l’arnaque. De nos jours, plus personne n’aide qui que ce soit, c’est chacun pour soi, marche, crève ou paie. Finalement, elle lui confie le ticket de caisse, l’adresse et le remercie, encore étourdie.

De retour chez elle, la bibliothèque l’attend derrière la porte, un petit mot est coincé entre deux rayons: « Avec mes salutations… Johnny. » Vraiment sympa, ce Johnny presqu’anonyme.

 

Dernières parutions : La Chambre noire, récit, Favre éd., 2023. Hibakusha  – Oppenheimer, le défi des parias, théâtre, éd. Grand Cargo, La CdF, 2024

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