La nouvelle vie des anciens abattoirs

Patrick Fischer

Quand les friches industrielles deviennent des lieux de culture : exemple d’une brillante réhabilitation à La Chaux-de-Fonds

Des lieux de mort transformés en lieux de vie ! Comme d’autres friches industrielles, les anciens abattoirs de La Chaux-de-Fonds sont considérés aujourd’hui comme des trésors du patrimoine. Rénovés à grands frais, ils abritent souvent des activités culturelles. Avec la mondialisation, la viande qu’on achète sur d’autres continents, usines et abattoirs n’ont plus d’utilité aux portes de nos villes. Ces sites désaffectés offrent des espaces très recherchés dans un paysage urbain où on ne trouve plus un m2 de libre. À New York, l’ancien quartier des abattoirs, encore appelé le Meatpacking District, est devenu un haut lieu de la culture avec ses galeries et son nouveau Whitney Museum. Dans la Métropole horlogère, future Capitale culturelle suisse 2027, les anciens abattoirs seront au cœur des manifestations. Une vitrine pour tout le pays. Théo Huguenin-Élie, conseiller communal responsable de l’urbanisme et des bâtiments, raconte comment on en est arrivé là.

– Pourquoi la ville a choisi de rénover ses anciens abattoirs ?
– En 2014, le dernier boucher encore sur le site abat sa dernière bête. On se retrouve avec un bâtiment qui n’a plus de fonction, d’une valeur patrimoniale exceptionnelle mais en très mauvais état. En même temps, Polyexpo a été vendu à l’État, et on n’a plus de salle pour les grandes manifestations. On voit le potentiel des abattoirs mais il y a des résistances très fortes, entre ceux qui veulent vendre le bâtiment pour un franc symbolique et ceux qui veulent sa démolition.

– Il y a eu un tournant, un changement de mentalité ?
– Oui, c’est arrivé par étapes. La première prise de conscience remonte aux années 1970 quand la ville octroie un permis de démolir l’ancien manège, qui sera sauvé in extremis par un mouvement citoyen. En 1994, la ville est récompensée par le Prix Wakker pour ses efforts de valorisation du patrimoine. On observe un intérêt croissant pour l’héritage du Corbusier, le style sapin et cet urbanisme particulier fait par et pour l’horlogerie. En 2009, c’est la reconnaissance de l’Unesco. On se met à regarder notre patrimoine, y compris les friches industrielles, avec un œil nouveau.

– Pour la ville c’est un gouffre à fric, plus de 5 millions…
– Le bâtiment étant classé d’importance nationale, on reçoit des aides du canton qui peuvent aller jusqu’à 20 %. Notre chance c’est le regard nouveau sur le patrimoine industriel. On ne cherche plus à faire du neuf mais une rénovation douce, qui garde les traces de l’activité passée. Ça coûte moins cher.

– Garder le bâtiment dans son jus ?
– Oui, et ce caractère brut fait le charme du lieu. Ça plaît beaucoup aux entreprises horlogères qui viennent y faire leurs repas de fin d’année. Les réservations sont déjà complètes pour les mois de novembre et décembre jusqu’en 2026.

– Les autres utilisateurs ?
– Le HCC y organise son gala annuel, un repas à plus de neuf cents personnes. Il y a le Supermarché de Noël. Parmi les locataires, on trouve la brasserie La Comète, un skate-park, et le centre d’art contemporain Quartier Général.

– Quelle sera la place de ce site pour Capitale culturelle suisse 2027 ?
– Son centre névralgique ! Il s’y passera énormément de choses. Une visibilité dans toute la Suisse. Le défi pour la ville sera de poursuivre cette rénovation douce.

– Les friches industrielles transformées en espaces culturels, qu’est-ce que ça dit de notre société ?
– Un regard nouveau sur un patrimoine longtemps déconsidéré. Et un besoin d’espace dans des villes où l’on prône la surdensification. Ces espaces, on les trouve dans ces sites industriels qui avaient été construits en pleine campagne, comme les abattoirs, l’usine électrique ou les anciens moulins, et que la ville a fini par engloutir.

À lire sur le sujet : Meilleures pensées des Abattoirs, Jean-Bernard Vuillème, éditions d’En Bas.

 

 

Un modèle tayloriste

Ce n’est pas Le Corbusier mais l’architecte allemand Gustav Uhlmann qui signe ce qu’on appelait à l’époque les nouveaux abattoirs, inaugurés en 1906.

« Début du XXe siècle, période de prospérité pour La Chaux-de-Fonds, très forte poussée démographique et nécessité d’accompagner cet essor industriel avec des infrastructures modernes. C’est l’époque où on réalise l’adduction d’eau, le tram s’étend partout en ville, on construit de nombreux collèges, les Moulins, l’usine électrique… » rappelle Théo Huguenin-Élie. « L’optimisme pousse les autorités à voir grand ! »

Les nouveaux abattoirs sont prévus pour alimenter une bonne partie de l’Arc jurassien et de la Suisse romande. Installés à côté de la ligne de chemin de fer, ils permettent d’importer du bétail sur pied depuis la France. On va chercher un architecte allemand connu pour avoir construit les abattoirs de Mannheim sur un modèle tayloriste.

Avec le temps, et la baisse des abattages sur place, les installations vont s’avérer surdimensionnées et elles ne seront plus adaptées aux normes. Une nouvelle vie commence. Les abattoirs ont d’abord failli être transformés en casino.

Le regard du sociologue : « Nostalgie et opportunisme »

Quel regard porte le sociologue et président du Club 44 François Hainard, bien connu des lecteurs du Ô, sur ce phénomène des friches industrielles devenant lieux de culture ? « On pense la ville différemment. On se réapproprie des bâtiments périmés qui risquent de tomber en ruine. J’y vois de la nostalgie pour notre histoire industrielle, un côté identitaire et une forme d’opportunisme car ce sont des espaces gigantesques qui deviennent disponibles.

– Peut-on y voir un exemple d’économie circulaire, de recyclage, dans l’air du temps ?
– Je ne pense pas que c’était la motivation au départ, même si après coup ça permet de le justifier.

– Est-ce propre à notre époque ? En d’autres temps on aurait démoli ?
– Ça remonte aux années 1960. Derrière ces réalisations, il y a des acteurs dont le rôle a souvent été déterminant : Pierre von Allmen pour la ferme du Grand Cachot, l’équipe qui a sauvé l’Ancien Manège ou Bikini Test, qui sont passionnés et qui se mobilisent. Il faut aussi une appropriation du public. On ne peut pas sauver ces lieux si personne ne vient. Ce n’est jamais gagné d’avance, ça demande des moyens financiers.

 

Du l’art et du cochon

L’association d’art contemporain Quartier Général est installée depuis huit ans dans l’ancienne halle d’abattage des cochons. Son président Jérôme Baratelli a été responsable de la filière communication visuelle à la HEAD, la Haute école d’art et de design à Genève.

– Comment vous sentez-vous dans ces lieux ?
– Très bien. Il n’y a pas de mauvaises ondes comme certains pourraient le penser. Un abattoir est un lieu extrêmement fonctionnel. Comme on transportait la viande avec des rails fixés au plafond, cette infrastructure nous permet de suspendre les œuvres.

– C’est incongru de faire de l’art là où on faisait boucherie ?
– On détourne tellement la fonction première du lieu que le décalage devient intéressant. Ça plaît beaucoup aux artistes qui viennent exposer.

– Quelles sont les activités que vous y organisez ?
– Il y a quatre expositions par an et notre Supermarché de Noël, dans la nef centrale, qui réunit près de quatre-vingts artistes et designers et pas loin de six mille personnes.

– Pourquoi la culture s’installe souvent dans les friches industrielles ?
– Les autorités ne savent pas quoi faire de ces sites un peu à l’abandon… La culture s’adapte très bien à ces endroits et ça arrange tout le monde.

– Une culture alternative ?
– Oui, au début on s’engouffre dans cette faille, il n’y a pas trop de règles. Ensuite ça s’officialise, on met des rubans, on fait des vernissages avec les autorités.

 

 

 

Les nouveaux abattoirs en 1906. (Fonds BV CdF, photo Albert Schönbucher)
Les nouveaux abattoirs en 1906. (Fonds BV CdF, photo Albert Schönbucher)

Un modèle tayloriste

Ce n’est pas Le Corbusier mais l’architecte allemand Gustav Uhlmann qui signe ce qu’on appelait à l’époque les nouveaux abattoirs, inaugurés en 1906.

« Début du XXe siècle, période de prospérité pour La Chaux-de-Fonds, très forte poussée démographique et nécessité d’accompagner cet essor industriel avec des infrastructures modernes. C’est l’époque où on réalise l’adduction d’eau, le tram s’étend partout en ville, on construit de nombreux collèges, les Moulins, l’usine électrique… » rappelle Théo Huguenin-Élie. « L’optimisme pousse les autorités à voir grand ! »

Les nouveaux abattoirs sont prévus pour alimenter une bonne partie de l’Arc jurassien et de la Suisse romande. Installés à côté de la ligne de chemin de fer, ils permettent d’importer du bétail sur pied depuis la France. On va chercher un architecte allemand connu pour avoir construit les abattoirs de Mannheim sur un modèle tayloriste.

Avec le temps, et la baisse des abattages sur place, les installations vont s’avérer surdimensionnées et elles ne seront plus adaptées aux normes. Une nouvelle vie commence. Les abattoirs ont d’abord failli être transformés en casino.

Le regard du sociologue : « Nostalgie et opportunisme »

Quel regard porte le sociologue et président du Club 44 François Hainard, bien connu des lecteurs du Ô, sur ce phénomène des friches industrielles devenant lieux de culture ? « On pense la ville différemment. On se réapproprie des bâtiments périmés qui risquent de tomber en ruine. J’y vois de la nostalgie pour notre histoire industrielle, un côté identitaire et une forme d’opportunisme car ce sont des espaces gigantesques qui deviennent disponibles.

– Peut-on y voir un exemple d’économie circulaire, de recyclage, dans l’air du temps ?
– Je ne pense pas que c’était la motivation au départ, même si après coup ça permet de le justifier.

– Est-ce propre à notre époque ? En d’autres temps on aurait démoli ?
– Ça remonte aux années 1960. Derrière ces réalisations, il y a des acteurs dont le rôle a souvent été déterminant : Pierre von Allmen pour la ferme du Grand Cachot, l’équipe qui a sauvé l’Ancien Manège ou Bikini Test, qui sont passionnés et qui se mobilisent. Il faut aussi une appropriation du public. On ne peut pas sauver ces lieux si personne ne vient. Ce n’est jamais gagné d’avance, ça demande des moyens financiers.

 

Du l’art et du cochon

L’association d’art contemporain Quartier Général est installée depuis huit ans dans l’ancienne halle d’abattage des cochons. Son président Jérôme Baratelli a été responsable de la filière communication visuelle à la HEAD, la Haute école d’art et de design à Genève.

– Comment vous sentez-vous dans ces lieux ?
– Très bien. Il n’y a pas de mauvaises ondes comme certains pourraient le penser. Un abattoir est un lieu extrêmement fonctionnel. Comme on transportait la viande avec des rails fixés au plafond, cette infrastructure nous permet de suspendre les œuvres.

– C’est incongru de faire de l’art là où on faisait boucherie ?
– On détourne tellement la fonction première du lieu que le décalage devient intéressant. Ça plaît beaucoup aux artistes qui viennent exposer.

– Quelles sont les activités que vous y organisez ?
– Il y a quatre expositions par an et notre Supermarché de Noël, dans la nef centrale, qui réunit près de quatre-vingts artistes et designers et pas loin de six mille personnes.

– Pourquoi la culture s’installe souvent dans les friches industrielles ?
– Les autorités ne savent pas quoi faire de ces sites un peu à l’abandon… La culture s’adapte très bien à ces endroits et ça arrange tout le monde.

– Une culture alternative ?
– Oui, au début on s’engouffre dans cette faille, il n’y a pas trop de règles. Ensuite ça s’officialise, on met des rubans, on fait des vernissages avec les autorités.

 

 

 

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Pacifiste et non-violent convaincu, Ziad Medoukh est professeur de français à l’université. Il habite à Gaza-ville, lieu qu’il a toujours refusé de quitter. Dans