Compost’Elle et lui

Michel Bossy

Il semblerait bien que Saint-Jacques fût décapité. N’empêche qu’au hit-parade des saints, Jacques, fils de Zébédée marche… toujours en tête. Sophie, elle, avance seule, un rien résignée. Athée devant l’éternel, elle est cependant en quête depuis longtemps des légendes et des mythes errants… selon François. Elle se trouve encore à cent kilomètres du Graal, mais il pleut depuis quatre jours.

Sophie conjugue ce maudit verbe qui en plus d’être défectif est aussi déviant. C’est fou ce que Qiu m’a plu se dit-elle et ce fut comme un orage mécanique dans son cœur. Ses pensées la ramenèrent à la veille au gîte avec ces chinois. Elle put communiquer avec eux et, étonnement, dans la langue de Goethe. Le Spiegel dépassait tel un reflet du sac de Qiu. Effet miroir ? Elle demanda à ce dernier s’il lisait le Mao Zeitung ? Il n’eut pas l’air de piger, mais sourit. Dommage qu’il y a cette fée, songea-t-elle.

Elle appuya plus fort sur ses bâtons et reprit son chemin. Par moments, elle compte ses pas, comme les pieds dans un vers. Tous les douze, elle recommence et… «Buen Camino». Sophie imagine la marche des manchots empereurs, et du coup, émue par tant de beauté, lâche ses bâtons. Va-t-elle revoir Qiu? Ici, ça grimpe, mais son jeune cœur, arrosé de bonheur fait le Job (le saint du
travail ?)

Puis, devant, à quatre ou cinq alexandrins, elle l’aperçoit, presse le pas et voit aussi la fée dans une démarche étudiée. Baudelaire lui souffle : «Même quand elle marche, on croirait qu’elle danse. » Tu parles Charles, on ne danse pas sur ces chemins, on souffre. Vite le volet jalousie se ferme quand elle apprend que Lu, la fée, est la sœur de Qiu. Rapides échanges entre Qiu et Sophie, puis elle le perd de vue. Vivement ce soir au gîte. Je crois bien qu’enfin je suis en train de trouver césure à mon pied.

Lecteur du Ô. Écrit pour lui. A signé nombre d’articles pour la Feuille d’avis de Neuchâtel dans les années 1980.

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