Selon Gustave, mon samovar, je suis trop obnubilé par la fille sur le banc, de l’autre côté du canal, à côté du lampadaire et sous les feuillages de l’arbre. Mercredi, la journée était ensoleillée, alors elle est apparue munie d’une ombrelle.
J’ai pensé qu’elle arrivait d’Osaka. Elle avançait à petits pas à l’image des geishas sur les estampes japonaises. Assise confortablement, elle se laissa aller à une rêverie habitée par les souvenirs de son enfance. C’est ce que j’ai imaginé, mais le visage est resté dans l’ombre et je n’ai pas pu déchiffrer ses intentions.
J’avais l’impression d’être un astronaute observant l’immensité de la terre, mais sans rien percevoir, parce que les détails regardés de si loin demeurent minuscules. Utrecht, de là-haut, apparaît comme zone mouchetée de grisaille et semble emporté par l’effondrement des paysages vers le Nord taciturne et magnétique.
Je ne connais pas d’explorateur spatial, mais quelques fourmis habitent mon jardin. L’une d’elles, une charmante petite rousse que j’ai nommée Gisèle, car au premier soleil elle se tient droite, telle une ballerine, s’exerce à une barre imaginaire et étire ses membres avec élégance.
Souvent, je prends le temps de papoter. Elle parle avec un rire de cristal qui se brise sur la fin des phrases. Elle explique qu’elle aime la rosée des nuits d’été. Elle affirme qu’en regardant au travers des gouttes, les étoiles deviennent plus proches. Elle connaît déjà tout de la Voie lactée et de la tenue spatiale des hommes qui, dans le vide, réparent les télescopes Hubble et James Webb.
Un peu inquiète, l’autre matin, elle a demandé si les astronautes revenant sur terre, en sortant de leur capsule, font attention où ils mettent les pieds.
René Gori : La Conquête éphémère de la tristesse (épuisé), éd. Épuisées, 1970, 241 p. ill.
* Identité connue de la rédaction.