La blessure de l’aube

Par Michel Bossy

Le matin, Sophie prenait plaisir à contempler son dos tatoué. Il lui fallait deux miroirs pour le lire dans le bon sens. Comme un livre ouvert, sa colonne vertébrale marquait le milieu parfait, telle une couture sur le plaisir de lire. Sur la partie droite, naviguaient les fameuses lettres, Le bateau ivre, de son unique tatouage. Tout à coup, elle sursauta, un bruit violent devant elle. Elle leva la tête et, venant de nulle part, non pas un aigle noir, mais quatre horribles personnages. Pour Sophie, ce fut stupeur et tremblements à tous les étages de son frêle corps. De plus, ces hommes, tout de cuir habillés, l’invectivaient haut et fort. « Sophie, sache que dans notre groupe nous voulons mettre les poètes et les écrivains au pas et voulons commencer par te tuer. Que tu cesses de répandre tes conneries. On ne t’aime pas, tu nous casses les pieds avec tes vers luisants de prétention. Quant aux livres, pareil, tu peux te parfumer au Süskind jusqu’à la nausée, tu n’en gardes pas moins toujours les mains sales. Tu viens des Enfers et nous, nous sommes les Autres. On va t’attacher à poil sur les rails du transsibérien et ce sera mort à crédit en ligne directe. Morte, tu recevras quelques fleurs du mal plantées ici et là. Quant à les faire pousser, on boira de l’eau des Vian et on pourra d’autant mieux cracher sur ta tombe. » Sophie voyait le mot fin du livre de sa vie se pointer au pas de course. Mais l’horreur n’était pas finie, l’impensable arriva quand elle vit que Qiu, son ami de Compostelle était parmi ces gens-là. Il tenait une épée qu’il pointait contre elle. Il était devenu fou. Il l’obligea à se coucher à plat ventre et elle sentit cette lame lui entailler le dos. Elle cria très fort et… se retrouva assise dans son lit, trempée, le cœur battant la démesure. Elle ressentit une très forte douleur dans son dos qui avait heurté violemment l’angle métallique de sa tête de lit.

 

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