Tôt ce matin, rien ne bouge du côté du banc et de mes amours, hormis quelques canards malotrus s’installant sous le couvert des lattes. Gustave, mon samovar, souffre d’une dysfonction répétitive. La température de l’eau laisse à désirer et seul le thé au jasmin peut infuser sans risque de perdre toute saveur – trois minutes à 75°.
La femme n’apparaît toujours pas au-delà des clapotis. Sa beauté esquissée l’autre jour s’estompe. Je ressens une amertume similaire à celle des reflets lunaires crucifiés par l’aurore aux doigts de rose. Sitôt la nuit trépassée, mon estomac gargouille. Je possède une poêle d’une circonférence suffisante à la cuisson d’un œuf, mais je ne suis pas certain d’avoir encore de l’appétit, alors je déjeune d’un café et d’une demi-biscotte.
Le reste de la journée, je traîne à repeindre mon canot à rames plates, à vérifier l’écartement des montants de ma barrière et à surveiller le ciel, car paraît-il, des cornes de girafes se cacheraient derrière les nuages.
Plus tard, mes yeux tombent sur une malle culbutée à l’intérieur de mon jardin. Sur la rue, un galop. Deux policiers filent sans s’arrêter. Je m’approche de l’objet et fais jouer la serrure. Une drôlesse émerge, diable sautant hors de sa boîte, frimousse crépue, cascade de sourires habillés par l’insolence des êtres tellement vivants. Je lui demande son nom, elle hésite, bondit par-dessus les pointes acérées de la clôture, se retourne et lance « je suis la jeune fille qui vient de l’étranger », puis elle disparaît.
Les gens traversant nos vies sont toujours de quelque part, trottoirs de Manille ou… Pour découvrir qui je suis, peut-être qu’il faut arpenter le monde ?
Il y a dans l’air, une odeur de voyage.
Dernière parution : Traité sur les effets anxiogènes du gypaète barbu, essai, Éd. Épuisées, 1970, épuisé.
* Auteur connu de la rédaction