Premier tour de Suisse pour un bus qui carbure à l’énergie solaire
Ce n’est pas un tigre qu’ils ont mis dans le moteur, mais un soleil ! Une bande de potes qui se sont connus sur les bancs de l’EPFL, tous ingénieurs et écolos. Et bricoleurs aussi ! Ils ont transformé une vieille fourgonnette Peugeot J9 de 1987 qui carburait au diesel en un van électrique complètement alimenté à l’énergie solaire. Le véhicule vient de boucler son premier tour de Suisse, 4000 km à la force des panneaux solaires embarqués sur son toit et mis au point au CSEM. Bilan de l’exercice avec Curdin Wüthrich, cofondateur et CEO de l’association Soleva qui promeut la mobilité durable et pilote l’expérience.
– Le van a subi une transformation spectaculaire… Le contrôle technique a été compliqué ?
– Étonnamment non pour la bonne raison qu’on s’est approchés du service des autos très tôt pour les embarquer dans le projet.
– Combien de temps pour faire ce tour de Suisse ?
– On est parti le 14 juin et on a fait les 4000 km en sept semaines.
– À quelle vitesse ?
– Le bus est capable de rouler à 130 km/h sur l’autoroute, mais on n’a pas dépassé les 100 car au-delà, à cause du manque d’aérodynamisme, la consommation devient exponentielle. Nous avons aussi pris des routes de montagne. On a réussi à atteindre le Nufenen, le col le plus haut du pays, avec une seule charge depuis Lugano, ce qui représente quand même 2500 m de montée.
– À 100 % autonome durant tout le voyage ?
– On a passé cinq semaines en totale autonomie. Mais au mois de juin, la météo était si mauvaise qu’on a chargé quelquefois aux bornes comme une voiture électrique. à l’inverse, avec sa surface de panneaux, notre bus fonctionnait comme une véritable centrale solaire, ce qui nous a permis de fournir aussi de l’électricité. à Martigny, notre van a alimenté une scène de six musiciens pendant tout un festival.
– Quel était le but du voyage ?
– Il s’agissait de tester le concept et de gagner en visibilité. à chaque étape nous avons organisé des events pour informer le public. Notre intention est de changer notre vision du voyage, de promouvoir le slow travel, car les déplacements en avion vont devoir être sensiblement réduits, si pas plus.
– Le bilan ?
– Sur le plan technologique nous avons été positivement surpris. à part quelques petits problèmes avec les circuits de refroidissement, aucun panneau n’est tombé en panne, pas de moteur en panne non plus.
– Le coût au final ?
– Je pense qu’on a payé environ 100 francs de recharge. Si on avait fait ces 4000 km au diesel ça aurait bien coûté 700 francs.
– La suite ?
– Notre prochain objectif est de réaliser la plus longue distance continue 100 % à l’énergie solaire, de Lisbonne jusqu’en Sibérie.
16 000 km qui représenteraient une première mondiale, départ en 2025 ou 2026.
– Et des perspectives commerciales ?
– Notre premier objectif était non-lucratif. Dans une 2e étape, nous allons analyser le marché. Nous restons des ingénieurs et pas des vendeurs, mais on peut imaginer des développements solaires pour les véhicules de chantier ou les food trucks, qui restent des journées entières à l’extérieur et sont exposés au soleil.
La boîte magique du CSEM
Le CSEM, le Centre suisse d’innovation technologique de Neuchâtel, a été un partenaire clé de ce tour de Suisse. Il a développé et fabriqué, en partenariat avec le PV-Lab de l’EPFL, les panneaux solaires de cette aventure. Il y a les panneaux flexibles et déployables à la manière des satellites, et la boîte dans laquelle ils sont logés, fixée sur le toit du véhicule, qui est, elle aussi, photovoltaïque. Explications avec Antonin Faes, chef de projet au CSEM.
– Principale innovation sur ce bus ?
– Cette fameuse boîte qu’on ne trouve pas sur le marché ! L’enjeu était de la réaliser avec des panneaux légers et sans verre afin qu’ils résistent aux chocs et à la grêle. Cela représente des années de recherche. Développer une nouvelle technologie c’est toujours très long.
– Le bus peut-il charger les batteries en roulant ?
– Les deux. En roulant c’est la boîte qui effectue le travail, ce qui représente 1350 W, la puissance d’un bon four à raclette. à l’arrêt, en déployant les panneaux flexibles on arrive à 5000 W.
– Des cellules solaires sur toute la carrosserie, possible ?
– Nous avons un projet avec le groupe Simoldes, gros fournisseur automobile, pour développer des pièces de carrosserie photovoltaïques et même un pare-brise arrière semi-transparent qui intègre des cellules solaires.
– La carrosserie devra s’adapter ou c’est l’inverse ?
– C’est quand même les panneaux qui finiront par s’adapter car dans l’industrie automobile le rendu esthétique est très important.
– Une auto 100 % solaire ?
– Cela dépend des distances parcourues et de la surface solaire sur la carrosserie. Si on couvre seul le toit avec la technologie actuelle, on peut parcourir entre 1500 et 2500 km par an avec l’énergie solaire. En couvrant toute la carrosserie avec les nouvelles technologies du CSEM, qu’on appelle tandem pérovskite-silicium, on pourrait aller jusqu’à 17 000 km sous nos latitudes. Mais c’est un point de vue utopique car cela ne fait pas de sens économiquement de couvrir certaines parties du véhicule. Les plus efficaces sont le toit et le capot.
– Et vaut mieux partir en vacances dans le Sud ?
– La différence est très importante. En été au soleil, la capacité de production d’énergie peut être multipliée par 4 ou 5 en comparaison avec l’hiver.
– L’énergie solaire est sous-exploitée dans le bâtiment, encore plus dans la mobilité ?
– Clairement oui. Un exemple : la Coop dispose d’une trentaine de camions de livraisons qui sont refroidis grâce à un toit solaire. Cela représente une économie de 1000 litres de diesel par année pour chaque véhicule. C’est une expérience qu’on pourrait généraliser.
– Des routes photovoltaïques ?
– Il y a des projets, mais c’est pas simple, en raison des vibrations lors du passage des camions et des poussières de pneus qui noircissent la route et diminuent la production d’énergie. Plus intéressant, et qui va devenir obligatoire en France, ce sont les panneaux solaires sur le toit des parkings. Des projets similaires existent pour les autoroutes, ce qui réduit aussi l’entretien des routes. Plus besoin de passer le chasse-neige !
– Votre vision de la mobilité à la fin du siècle ?
– J’imagine que dès qu’on voudra se déplacer une voiture autonome va arriver avec des panneaux sur le toit mais aussi connectée magnétiquement à un satellite qui fournira l’énergie !
– C’est pas de la science-fiction ?
– La technologie n’est pas encore commercialisée, mais ça existe au niveau des tests.