Pour la première fois, le musée d’ethnographie de Neuchâtel a une directrice ! Le Ô a rencontré Aurélie Carré à l’occasion de Cargo, sa première expo.
Après Jean Gabus l’expéditeur, l’innovant Jacques Hainard père de la muséologie de la rupture, le musée est dirigé de 2006 à 2018 par Marc-Olivier Gonseth qui continue sur la lancée flamboyante de ses prédécesseurs. La période chahutée qui suivra, celle du binôme Mayor-Laville, prend fin en janvier 2024 d’un commun accord avec leur employeur, et ce malgré trois expositions temporaires acclamées par le public. Aujourd’hui, la nomination d’Aurélie Carré est tout un symbole puisque la confiance de la ville s’est portée sur une femme, externe à l’institution, pour en reprendre les rênes. En visite sur la colline de Saint-Nicolas, Le Ô s’est entretenu avec la Bisontine, une pro des musées, d’ethnologie en particulier, qui vient de s’installer dans le fauteuil de cheffe du MEN.
– Pourquoi quitter la citadelle de Besançon pour Neuchâtel ?
– Avec son aura internationale, ses collections et ses expositions, mon intérêt scientifique et intellectuel pour le poste a progressivement grandi. On ne relève pas ce type de défi sans avoir réfléchi aux conséquences privées et professionnelles que cela engendre. Je suis ici pour planter mes racines et apporter une manière collégiale de travailler.
– Première conservatrice ou première directrice du MEN ?
– En France, pays des étiquettes, on mettrait d’abord en avant mon titre de « conservatrice en chef », qui est à la fois un titre académique (sanctionnant la réussite d’un concours national très exigeant, suivi d’une formation au sein d’une grande école) et un grade supérieur de la fonction publique (avec promotion pour services rendus). Ici au MEN, j’endosse volontiers le titre et la fonction de directrice.
– Quelle sera votre touche ?
– Celle de grandir ensemble en partageant écoute et parole avec les équipes du MEN. Dans le respect d’une exigence scientifique et culturelle, je me réjouis de travailler avec chacune et chacun pour réaliser des choses sérieuses sur le mode du savoir joyeux. Fille de l’école républicaine, c’est dans la bienveillance et l’ouverture à l’autre que j’entends travailler, en respectant les valeurs du service public.
– Que pensez-vous de la figure de Jacques Hainard ?
– C’est à lui que le MEN doit un rayonnement particulier à l’international, notamment pour la « muséologie de la rupture », cultivée et enrichie par mes prédécesseurs Marc-Olivier Gonseth, Yann Laville et Grégoire Mayor : elle sert encore d’aiguillon à une réflexion collective sur le rôle des musées et de leurs collections. Aujourd’hui, s’il est nécessaire de continuer à alimenter cette muséologie critique, il est également indispensable d’amener les visiteurs à s’intéresser à l’ethnographie et à la manière dont la socio-anthropologie permet d’analyser un monde en constante évolution, sans hermétisme.
-L’expo culte Le musée cannibale, à refaire ?
– Je n’en suis pas encore là, mais dans ce « musée cannibale », le sens de la formule choc allait bien au-delà de la coquetterie de langage. Le MEN y a fait la démonstration de ce qu’est la congruence : un parfait alignement de la parole et des actes, du fond et de la forme. Un bel idéal à poursuivre !
– Un mot sur le pôle muséal ?
– La ville de Neuchâtel a décidé de regrouper les collections des musées dans le dépôt centralisé de Tivoli. Pour le MEN et ses 55 000 objets, la première phase de déplacement des collections se terminera à fin 2024 ; la seconde à fin décembre 2025. Ce regroupement représente un grand bond pratique, dans la gestion des risques et dans l’accès à nos trésors pour les étudiants et les chercheurs. Par rapport au Louvre qui gère des collections dans le Nord de la France à Liévin, nous sommes gâtés.
– Un mot sur les équipes ?
– Avant de prendre mes fonctions, je suis venue plusieurs fois. à chaque fois, j’ai été accueillie de manière chaleureuse et bienveillante. Après la période des audits, du retour ad intérim de l’ex-directeur, les gens aspirent à la stabilité. Passée l’inquiétude face à la nouveauté, j’ai hâte de convaincre les équipes de profiter de la période hyper-stimulante qui s’annonce.
– Comment inciter nos lecteurs à visiter le MEN ?
– L’endroit est idéal pour se promener dans le parc, déguster un bon plat du jour bio et, bien sûr, visiter nos expositions ! Notre riche programmation offre de très belles occasions d’échanger, au travers des brunchs du dimanche ou de nos conférences. Venir et revenir au MEN, c’est une forme d’art-thérapie, avec en prime la gratuité, chaque mercredi.
→ Cargo Cults Unlimited brunch et visite guidée, 17 novembre, 11 h (expo temporaire prolongée jusqu’au 18 janvier 2026).
→ Grandeur Nature expo dans les jardins du musée jusqu’au 30 mars 2025.