Arno Schmidt n’était pas candide. Il ne cultivait pas son jardin. Il l’avait hérissé de grillages pour éloigner l’importun et s’y recluait pour écrire des livres bizarrement géniaux. Parfois, il partait se promener, jamais loin, la marche et l’écriture s’accommodent. Ce petit territoire, il l’a photographié des milliers de fois, percevant dans chaque détails, une faille où engouffrer de la fiction. Chaque photographie est ainsi comme un fragment d’écriture, une idée visuelle notée sur de la pellicule.
Adrian Schiess n’écrit pas. Il réfléchit. Son regard ne porte pas plus loin que le paysage vu depuis l’atelier, au Locle ou à Zurich. Il réfléchit avec ses mains, ou plus exactement, il essaie de refléter ce qui se passe dehors, l’hiver qui arrive, le brouillard qui se déchire. Ce petit territoire, il l’a dessiné des milliers de fois, sensible, comme les peintres impressionnistes, à chaque variation météorologique, et se réjouissant simplement dans chaque dessin du fait d’être encore en vie. La feuille de papier est un filet où il tente de capturer la lumière d’un instant.
Les deux expositions qui leur sont consacrées au musée des beaux-arts font donc la part belle à la question du temps : le temps qu’il fait, celui qu’il nous reste, le temps suspendu comme une chaussette sur un fil à linge par un instantané de bonheur. Il ne faut pas se presser pour regarder le travail de ces deux artistes. Il faut laisser au regard le temps de s’habituer à chercher les détails, à les interpréter, comme on interprète, un matin d’hiver, les traces laissées par la nuit dans la neige du jardin. (MBA)