Dans l’architecture aussi, le réemploi des matériaux fait des émules
Recyclage, réutilisation, mutualisation des biens et des outils… Les piliers de l’économie circulaire font des adeptes toujours plus nombreux. C’est une réponse au délire d’une société dopée à l’obsolescence forcenée ! Dernier exemple, l’architecture où la pratique du réemploi gagne du terrain. Conserver des murs anciens, du mobilier ou des lavabos s’inscrit dans la mode vintage actuelle. à La Chaux-de-Fonds, la ressourcerie La Circulaire en fait la promotion depuis trois ans. La restauration de l’immeuble de la Boule d’or fait figure d’exemple dans ce domaine. Son architecte, Boris Evard, explique sa démarche.
Ce bâtiment, que représente-t-il pour vous ?
C’est un moment clé dans ma pratique d’architecte. Aujourd’hui on ne rénove plus un bâtiment comme on l’aurait fait il y a encore sept ou huit ans. Cette sensibilité pour la conservation et la restauration d’un maximum d’éléments s’est forgée au gré de l’avancement du chantier, ce qui est à mon sens déjà bien tard dans le processus de réflexion.
Qu’est-ce que vous avez cherché à préserver ?
Toute la structure porteuse, nous n’y avons pas touché. Mais nous avons optimisé l’enveloppe énergétique du bâtiment, c’était indispensable. Dans les appartements, nous avons conservé le béton apparent, les murs en briques en terre cuite, le maximum de portes intérieures, leurs poignées, les cadres en acier zingué, des armoires, des revêtements de sol, du mobilier en formica…
Est-ce que la conservation coûte moins cher que la reconstruction ?
On n’économise pas grand-chose. En tous cas, ce n’est pas l’argument.
L’exemple de la Boule d’or fait-il des émules ?
Il y a un travail conséquent à effectuer auprès des maîtres d’ouvrage, des mandataires, des entrepreneurs pour les sensibiliser. La prise de conscience se fait lentement, il faudrait aller plus vite. On doit avoir le réflexe de travailler avec des associations comme La Circulaire qui peuvent nous apporter des matériaux de construction, des équipements sanitaires, énormément de choses réutilisables.
Vous avez invité l’architecte genevois Raphaël Bach de l’association Matériuum pour une conférence. Pourquoi ?
Il joue un rôle important pour faire avancer cette nouvelle approche. Mais pour cela, il faut apprendre à changer de paradigme, on doit intégrer ces nouveaux paramètres en amont du projet. La conférence était couplée avec une journée de formation qui nous a bien « ouvert les yeux » sur cette thématique.
D’autres projets de rénovation ?
On vient de terminer la nouvelle médiathèque de l’école d’art. On est parti avec cette idée de conservation qui est un peu devenue notre ADN. Par exemple, plutôt que d’acheter du nouveau mobilier, il y avait des chaises et un stock de tables inutilisées depuis des décennies qui dormaient en sous-sol. On a simplement ajouté un plateau en Eternit et on les a repeintes.
Cela revalorise des matériaux passés de mode comme le formica ou le lino ?
Oui, la liste serait longue à établir. Redonner vie à des éléments d’ouvrage existants est aussi un processus qui nécessite de la curiosité, de l’humanisme et… de l’humilité !
La Boule d’or, un immeuble chargé d’histoire
La Boule d’or fait partie de l’histoire de La Chaux-de-Fonds. Les plus âgés se souviennent du cabaret qui a fait les heures de gloire de l’avenue Léopold-Robert 90. Le bâtiment appartient aujourd’hui à la CPCN, la Caisse de pension de l’état. Il abrite un restaurant, un étage de bureaux et quelques 26 appartements, tous rénovés. Au départ, cet immeuble représente la réussite sociale d’un boulanger qui l’a fait construire à la fin du XIXe siècle. En 1967, un incendie détruit les combles mais à l’époque on a préféré raser le bâtiment pour en reconstruire un nouveau, qui a longtemps été considéré comme une verrue. Les temps ont changé, sa rénovation démontre aujourd’hui sa valeur patrimoniale. C’est un témoin de l’architecture brutaliste chaux-de-fonnière, selon l’architecte Boris Evard.
Une ressourcerie aux anciens abattoirs
La Circulaire pour changer le monde
La Circulaire existe depuis 2021. C’est une association qui veut favoriser le réemploi des matériaux dans la construction et la scénographie. Son dépôt est installé dans un pavillon des anciens abattoirs. On y trouve quantité de matériaux de récupération et un espace atelier. Max Havlicek est un des nombreux bénévoles qui officient sur place. Bénévole et enthousiaste.
– Comment ça a commencé ?
– L’idée de base était de récupérer les éléments de scénographie des musées et des compagnies de théâtre car ils changent régulièrement. Aujourd’hui on a un accord avec six musées du canton. Et notre collaboration s’est étendue au secteur du bâtiment et aux privés.
– Qu’est-ce que vous avez en stock ?
– Beaucoup de bois, de la ferblanterie, un gros stock de plexiglas donné par un musée, des barres et des tubes de fer, des rouleaux de moquette provenant du Laténium, un parquet en chêne, de magnifiques catelles, des luminaires fournis par la ville, 300 moules et masques de carnaval…
– Qu’est-ce qui marche le mieux ?
– Le bois, c’est le produit phare. Il est facile à réutiliser et se prête à plein d’usages. Quand on a reçu des panneaux de chantier, ils sont restés à peine une semaine au dépôt.
– Comment fonctionne le circuit ?
– Les matériaux, on les récupère gratis, et on les revend à bas coûts, environ 40 % du prix à neuf. Ce qui nous coûte c’est le transport, car on doit louer un véhicule. On a un projet de crowdfunding pour en acheter un afin de réduire les charges.
– Le modèle se développe ?
– On va faire des permanences à la déchetterie communale. C’est aberrant de voir tout ce que les gens jettent. On est aussi en contact avec la voirie pour précéder leurs tournées de ramassage et récupérer ce qui nous intéresse. On a des liens avec le Centre d’apprentissage de l’Arc jurassien qui forme entre autres des polymécaniciens. Ils sont venus à La Circulaire pour sensibiliser les élèves à la gestion durable des déchets.
– Qu’est-ce qui vous motive ?
– Changer le monde, quand même ! Chaque geste compte, si on ne change pas de comportement, on va dans le mur.