Sûr qu’il ne pensait pas devenir voyer-chef de la ville de La Chaux-de-Fonds quand il était petit ! Bekir Omerovic, qui dirige la voirie depuis 2018, vient de loin. Né en 1981 dans un petit village de Bosnie-Herzégovine, il fuit la guerre après la mort de son père. Quand il arrive en Suisse avec sa mère et son frère, il a 13 ans et pèse 38 kilos ! Accueillis au centre de réfugiés des Cernets, ils sont placés à La Chaux-de-Fonds. Bekir y fera son lycée et il obtient un diplôme d’ingénieur en génie civil à l’EPFL. C’est un modèle d’intégration, il vit avec sa femme et ses deux enfants dans la Métropole horlogère. D’abord adjoint du bien connu Joseph Mucaria, il lui succède comme chef de la voirie. Un service qui est au cœur des réflexions sur la transition écologique. Bekir Omerovic nous a reçus dans les locaux de la rue du Marais.
L’hiver est calme ou difficile à gérer ?
Pour le moment c’est un petit hiver, hormis la période entre le 22 décembre et le 3 janvier où on a pris gros : 50 cm de neige en moins de 36 heures ! Ça n’était plus arrivé depuis 2008.
Vous avez appelé du renfort ?
On a recours aux entreprises privées qui interviennent habituellement. Tout le service est mobilisé, on arrête tout le reste. Le 23 décembre on a tourné de 3 h du matin jusqu’à minuit, et on a recommencé à 3 h le lendemain. Pour les organismes c’est assez rude.
Et ça fait des heures sup ?
Ça en fait pas mal.
Elles sont récupérées en été ?
En partie en été mais aussi maintenant, quand on a une semaine de calme. C’est important de pouvoir recharger les batteries en prévision de la suite.
Combien de personnes mobilisées ?
120 à 130 personnes à l’interne et une soixantaine qui viennent du privé.
En quoi consistent les mesures d’hiver ?
C’est ce qu’on appelle le service hivernal : le déneigement, le salage des routes principales, la pose de sel ou de copeaux sur les trottoirs. Et enfin, l’évacuation de la neige à la décharge des Éplatures.
Donc, on pratique toujours le salage des routes ?
Oui bien sûr. Et contrairement à la masse de neige qui diminue, les quantités de sel augmentent, parce qu’on a des variations de températures importantes, ça peut dégeler la journée et geler la nuit. À la voirie, on aime la bise car elle sèche les routes et nous évite de devoir saler.
Vous êtes voyer-chef depuis 2018. L’événement le plus marquant, c’était la tempête du 24 juillet 2023 ?
La tempête et le Covid. La pandémie m’a touché sur le plan personnel. Comme enfant de la guerre, ça m’a rappelé ces villes désertes où rode la mort. La tempête, elle m’a marqué professionnellement, elle a changé la vision de mon travail.
Comment ?
Je suis ingénieur civil de formation, mon métier c’est le béton, le goudron… Mais de voir tous ces arbres saccagés, cette nature abîmée, ça m’a incité à m’y intéresser davantage. J’ai fait une formation de gestionnaire de nature en ville et j’ai suivi des cours sur l’entretien et la taille des arbres. On a engagé un architecte paysagiste dans mon service. La nature occupe une place beaucoup plus importante depuis la tempête.
Et sur le moment ?
On était dans l’urgence et dans le concret. J’ai adoré travailler dans ce contexte où on se sent hyper utile. La priorité était d’assurer l’accès des ambulances et des services de sécurité. On n’a pas lésiné, en 72 heures mon service a ouvert toutes les routes. Ensuite s’est posé la question de la sécurité, on a contrôlé tous les arbres qui avaient bougé avec la volonté d’en sauver un maximum au prix parfois de grosses interventions. On a haubané des arbres avec des câbles pour éviter qu’ils tombent, on a coupé des branches au lieu de les abattre.
Vous avez replanté les arbres tombés ?
En 2024 on a replanté 270 arbres majeurs et environ 1600 jeunes plantes et arbustes mais ce n’est que le début d’un processus. Notre volonté ce n’est pas juste de remplacer les 1500 arbres qu’on a perdus mais d’en planter beaucoup plus. On veut aug- menter notre taux de canopée.
Le taux de canopée ?
C’est un indice (je l’ai appris dans mes cours !) qui mesure le taux de couverture végétale au-dessus de 3 mètres dans les villes. Genève et Lyon sont respectivement à 23 ou 27 %. À La Chaux-de-Fonds, on est à 13-14 %. J’aimerais faire mieux !
Il y a encore de la place?
Trouver de la place en milieu urbain pour planter des milliers d’arbres n’est pas une mince affaire. Le sous-sol est déjà très encombré avec l’électricité, la fibre optique, le chauffage à distance, etc.
Pourquoi est-ce important de planter des arbres dans les villes ?
Pour lutter contre les îlots de chaleur, ça donne de l’ombre et permet de baisser la température de quelques degrés. Je pense que c’est important dans la tête aussi. Le tout béton c’est fini, on a besoin de la compagnie des arbres. Cette tempête est un malheur qui s’est abattu sur la ville, mais elle a aussi permis cette prise de conscience. Les générations futures nous diront merci.
Quelle place occupe la réflexion climatique dans les services de la voirie ?
Une place très importante. Par exemple, quand on achète un véhicule, avant même de savoir s’il sera électrique ou thermique, on se demande si on en a vraiment besoin. On remplace des parcelles en gazon qui demandent beaucoup d’entretien par des prairies fleuries qu’on fauche une ou deux fois, et tout le monde est content de voir des fleurs en ville. On a abandonné le glyphosate. On essaie d’embarquer la population avec nous pour qu’elle accepte de voir pousser quelques brins d’herbe ici et là au lieu de désherber.
Et le salage des routes, c’est écolo ?
Oui, car on utilise le strict minimum nécessaire pour assurer la sécurité. Et on se pose trois fois la question s’il faut saler. Nos véhicules sont équipés de caméras thermiques. Et on a réduit le grammage au m2, entre 14 et 18 grammes. Dans certains pays que j’ai visités, on est plutôt à 100 ou 150 grammes. Au lieu de répandre du sel sec qui s’envole dans la nature on utilise du sel mouillé, qui reste collé à la route. On économise ainsi 20 à 30 % de quantité de sel.