Le premier tour de l’élection au Conseil d’état 2025 a eu lieu le week-end dernier. Si le résultat a fait du bruit, c’est une absence qui a fait parler d’elle quelques jours plus tôt : celle de l’ancienne figure politique chaux-de-fonnière Francis Matthey, décédé le 20 mars, à l’âge de 82 ans. « C’est un phare qui s’éteint, en plus d’être une énorme perte sur le plan humain », réagit son camarade du Parti socialiste Didier Berberat.
«Francis Matthey, c’était quelqu’un d’attachant, de loyal et de fidèle, trempé dans un sacré caractère», rigole Didier Berberat au moment d’évoquer son souvenir. « Nous ne sommes pas de la même génération et nous n’étions pas des intimes à proprement parler mais nos familles étaient liées. » En fait, Francis a été l’un des élèves du papa de Didier – Marcel – lorsqu’il était à l’école de commerce de La Chaux-de-Fonds. Marcel est décédé en 1964 après avoir été député au Grand Conseil et président du PS neuchâtelois.
Un parcours fait d’engagements successifs
Didier et Francis avaient une quinzaine d’années de différence d’âge. Ils se sont donc souvent côtoyés, succédés, rencontrés, sans jamais entrer véritablement en concurrence. « Je suis par exemple arrivé à la ville de La Chaux-de-Fonds en tant que chancelier lorsqu’il en partait pour rejoindre le Conseil d’état. » Francis Matthey a occupé le poste de conseiller communal et président de la ville (durant 8 ans) entre 1976 à 1988. Ensuite, il est effectivement entré au Conseil d’état jusqu’en 2000, s’occupant de différents départements au cours de cet engagement cantonal (finances, affaires sociales, économie publique). Ce socialiste à l’engagement social-démocrate hors-norme a également siégé au Conseil national de 1987 à 1995.
Bienveillant et amoureux de la nature
En 1995 justement, les chemins des deux hommes se sont à nouveau croisés au détour de leur engagement politique. « Je lui ai succédé au Conseil national », évoque Didier Berberat. Ce n’était pas évident de débarquer à Berne, dans la grosse machine du parlement. Je me souviens qu’il avait été parfaitement bienveillant avec moi, me donnant des conseils sans jamais chercher à s’imposer.» Bien qu’il n’ose pas se considérer comme un intime de Francis, Didier peut dire qu’ils s’appréciaient mutuellement. « Comme moi, c’était un amoureux de la nature que ce soit en randonnant dans notre région ou en prenant de la hauteur dans les montagnes du Valais. Il adorait ça. »
Le dilemme de 1993 : son élection au Conseil fédéral
Parfois, il arrivait cependant que l’avis des deux hommes diverge. « Il était opposé aux éoliennes et moi je pense que c’est nécessaire pour assurer notre autonomie en énergie bien que pas très esthétique dans notre belle nature. Mais cela n’a jamais été un motif de brouille pour autant. » Son imposante carrure allait de pair avec une droiture et une discipline exemplaires. Comme le prouve cette incroyable journée du 3 mars 1993. Ce jour-là, Francis Matthey est élu au Conseil fédéral pour remplacer René Felber. Mais problème : il a été élu en bonne partie grâce aux voix de la droite qui préférait lui attribuer ce fauteuil plutôt que de voir la candidate socialiste officielle – Christiane Brunner – y accéder. Bisbille !
«Un moment difficile pour lui et sa famille»
« Cela a été un moment difficile à vivre pour lui ainsi que pour sa famille. Il a subi des pressions de tous les côtés pour accepter et pour refuser son élection. Une semaine plus tard, il renonçait finalement au Conseil fédéral afin de préserver sa loyauté envers son parti. Pour la petite histoire, c’est finalement Ruth Dreifuss qui accéda au gouvernement à sa place. Elle fut ensuite la première présidente de la Confédération. «Lui, il s’est sacrifié pour le bien de son parti et celui de son pays. » Issu d’une famille ouvrière, le licencié en sciences économiques de l’université de Neuchâtel s’est battu de toutes ses forces pour l’intégration de la population étrangère. Il présida notamment la Commission fédérale des étrangers.
Lutte pour l’intégration des enfants étrangers
« Il a joué un rôle important dans l’intégration des enfants étrangers à l’école notamment. Au côté de Jean-Michel Kohler (alors directeur de l’école primaire de La Chaux-de-Fonds), il a fait grandement avancer les choses pour ces enfants dont les parents bénéficiaient souvent du statut de saisonnier. Ce statut précaire leur permettait de rester uniquement neuf mois sur notre sol. » Celui qui a incarné le visage de la ville de La Chaux-de-Fonds durant de nombreuses années a ensuite donné de sa personne pour l’événement Expo.01, devenu Expo.02. Ces dernières années, il restait très au fait de la politique cantonale et fédérale et ne manquait jamais une occasion d’appeler Didier Berberat pour en discuter. Aujourd’hui, c’est sa disparition qui fait parler. Preuve qu’il a marqué des générations par son travail et ses engagements.