La toxine botulique, dit le « botox »

Par Anthony Picard

Le botulisme est une maladie qui se manifeste par des signes digestifs et des troubles neurologiques pouvant entraîner le décès par insuffisance respiratoire. Cette pathologie a pu être expliquée à partir de la fin du XIXe siècle lors de l’apparition des sciences nouvelles que sont la microbiologie ou l’immunologie. Au fil des siècles, l’observation a permis de valider que la mauvaise conservation des viandes et des défauts dans la fabrication de saucisses (du latin botulus) ou de boudins en sont la principale cause.

Produite par la bactérie Clostridium botulinum, la toxine botulique se révèle comme le plus puissant des poisons connus. Mais son histoire est plutôt celle d’un poison aux vertus thérapeutiques. Sur le sujet de sa toxicité, la légende de l’empoissonnement du SS Reinhard Heydrich à la toxine botulique s’est propagée jusqu’en 1982, avant que les archives militaires anglaises écartent cette hypothèse.

Un strabisme expérimental
Après la Seconde Guerre mondiale, les vertus thérapeutiques du poison reviennent sur la scène, portées par les travaux menés aux USA dans les laboratoires militaires de Camp Detrick, point de départ de l’utilisation thérapeutique du produit. A.B. Scott (1932-2021), ophtalmologue à San Francisco, utilise l’effet paralysant du poison fourni par un collègue chercheur à Camp Detrick, en l’injectant dans les muscles oculo-moteurs de singes afin de provoquer un strabisme expérimental. En 1980, une première patiente souffrant de spasmes est traitée par A.B Scott avec succès.

La toxine botulique en Suisse
La diffusion de la toxine vers l’Europe s’est faite par de nombreux cliniciens venus visiter l’institut où s’est développée l’usage de la toxine botulique pour apprendre à l’injecter. Le Dr A. Safran, neuro-
ophtalmologue aux HUG ayant travaillé aux US, a été contacté en 1982 par A.B. Scott à la recherche de centres injecteurs en Europe. à la suite de ce contact, les premières injections de toxine botulique ont lieu la même années et ont contribué à enrichir les premières publications scientifiques, disponibles entre 1980 et 1985.

Oculinum, le produit utilisé par les Drs A.Safran et F. Ochsner à Genève est administré sous le sceau du secret dans le cadre d’une consultation aux HUG. Seuls les soins intensifs avaient été prévenus. à l’époque, les 6 premiers patients traités pour un blépharospasme présentaient des résultats jugés remarquables 3 mois après l’injection. Ces progrès, compilés à la pratique d’autres hôpitaux, ont permis de documenter les bases de données et de poursuivre les consultations spécialisées.

De poison à « médicament remarquable »
Dès 1991, l’élargissement du spectre d’usage de la toxine botulique fait son chemin. Le produit est injecté dans des cas aussi variés que les dystonies, les mouvements anormaux ou le bruxisme (grincement de dents). De nos jours, la toxine botulique est plus connue sous son nom de marque « Botox ». La substance, autorisée par SwissMedic depuis le 4 novembre 1994, est plutôt utilisée dans le domaine cosmétique, pour masquer les rides, diminuer l’hypersudation ou lutter contre l’hypersalivation chez les patients parkinsoniens. De terrible poison, cette toxine s’est transformée en une potion remarquable, indiquée dans certaines pathologies ou à des fins esthétiques.

Dr François Ochsner : le Chaux-de-Fonnier à la pointe du sujet
Cet article a été rendu possible grâce au praticien neurologue Dr François Ochsner, un pro de la toxine botulique. Installé à La Chaux-de-Fonds en octobre 1988, le médecin est contacté par Allergan, le fabricant d’Oculinum, en vue d’administrer le produit. Il obtient un droit de pratique très particulier délivré par les pharmaciens cantonaux de Neuchâtel et de Schwytz (le siège de la maison Allergan est à Schwytz). Le médecin utilise pour la première fois la toxine botulique dans le cas d’un jeune patient victime d’un accident de circulation. Avec l’aide de physiothérapeutes, une dose du médicament est injectée dans les muscles spastiques entraînant une amélioration significative de l’état du patient et la diminution des douleurs de sa jambe.

Spécialiste en la matière, le Dr François Ochsner se réjouit que les bienfaits du produit chez les musiciens leur offrent la possibilité de continuer à jouer. « Du temps du virtuose du piano Robert Schumann, la paralysie signifiait une fin de carrière », précise celui qui a traité des centaines de patients durant sa carrière de praticien. Grâce à de minutieuses injections, les miracles sont possibles !

 

 

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