Quelques mois avant la naissance d’Anne Bisang, le TPR voit le jour à l’été 1961 sous la direction de Charles Joris qui en assurera la destinée jusqu’en 2001, en conférant au TPR une réputation de compagnie rigoureuse aux exigences artistiques affûtées. Après l’ère Joris, le théâtre dirigé par Gino Zampieri, se rapproche du théâtre de la Ville, rebaptisé L’Heure bleue, pour ne faire plus qu’un à partir de 2004. Dès 2009, c’est Andrea Novicov qui fonctionne comme directeur artistique avant l’arrivée d’Anne Bisang en 2013.
En 2023, après 10 ans de TPR, Le Ô challengeait Anne Bisang en lui demandant si elle serait de la partie pour Capitale culturelle 2027. Une réponse sans équivoque avait jailli : « je souhaite être aux premières loges », avait déclaré la directrice pleine d’enthousiasme. Notre journal a voulu mettre en perspective cette déclaration dans une actualité teintée de morosité.
– Comment va le monde ?
– On vit une période de crises et de chaos qu’il faut supporter le temps d’une transition vers un monde plus respectueux. Notre devoir est de rester vigilants, de dénoncer et de continuer à nous battre contre un courant de pensée attisant haine et violence. L’espoir est que l’inversion des choses est possible même si elle prendra du temps.
– À l’heure des guerres, y a-t-il encore de la place pour la culture ?
– Dans les moments les plus sombres, la culture est essentielle à notre survie. Winston Churchill le déclarait : « Si ce n’est pas pour la culture, alors pourquoi se battre ? » La comédie, le TPR sont justement faits pour donner du sens à cette déclaration.
– Blatten, Lourtier, le val Maggia, ces catastrophes sont-elles évitables ?
– Sans un mode de vie moins bling-bling qui conjugue désindustrialisation et bien-être, difficile de freiner les catastrophes dues au réchauffement climatique. Dans les pays riches, la chance est de disposer de systèmes d’alarme préventifs pour éviter de trop grandes pertes humaines. Au Nigéria, les inondations viennent de faire 150 morts.
-Trump, Poutine au pouvoir, la fin du statut transgenre, un retour en arrière ?
– Absolument ! c’est un immense coup dur pour les libertés humaines. Je suis en colère contre ce machisme tout-puissant, synonyme de division, de haine et de tensions. Paradoxalement, ce regain de masculinisme ravive la pensée féministe en donnant plus de vigueur à des mouvements comme celui de la grève des femmes du 14 juin. égalité entre hommes et femmes, prévention des violences faites aux femmes, l’heure n’est pas au relâchement.
– Les atermoiements du Conseil fédéral sur la question gazaouite, vous comprenez ?
– Dans les guerres, la communication est un élément central. Rester en dehors du conflit fait partie de l’ADN de la neutralité suisse. Cela ne signifie pas qu’il faille se taire. Dans un conflit complexe où règne la désinformation, je peux comprendre la réserve mais notre pays doit donner de la voix et prendre des mesures pour faire cesser les massacres et inciter les belligérants à dialoguer.
– L’action des villes avec en tête Christina Kitsos, un exemple à suivre ?
– Les villes sont légitimes à s’exprimer puisqu’elles sont en première ligne avec la population et l’opinion publique.
– 2025-2026, votre 11e et dernière saison en qualité de directrice
– Ce n’est pas un scoop, j’approche de l’âge légal de la retraite et le processus de nomination d’une nouvelle direction est engagé. Après l’annonce de ma 12e programmation, en juillet 2026, je laisserai le gouvernail du TPR à une nouvelle direction tout en continuant mon engagement en faveur de la culture chaux-de-fonnière.
– Il y aura donc un après ?
– Oui, avec un spectacle que je mettrai en scène pour Capitale culturelle 2027.
– Capitale culturelle suisse 2027, que faut-il pour que ça fonctionne ?
– Pour que ce premier événement du genre en Suisse fonctionne, il faut que la population adhère et participe. Locale, nationale ou internationale, c’est la fréquentation qui donnera ses lettres de noblesse à ce projet pilote. Les délais courts ont l’avantage de permettre de créer dans une forme d’urgence spontanée un programme autour d’événements culturels majeurs des Montagnes neuchâteloises.
– Et cette dernière saison, quel est son fil rouge ?
– Une clef du programme montre que celui-ci laisse une large place à la résistance et à la solidarité. Que ce soit Prendre soin d’Alexander Zeldin qui décrit sans mélodrame l’exploitation d’une classe invisible ou La misère du monde mis en scène par la Neuchâteloise Orélie Fuchs, le monde de la précarité sera exploré. J’ajoute que dans cette saison, le mot « populaire » dans son sens de parler au peuple en mettant la vie des gens ordinaires sur scène sera bien représenté. Un programme 2025-2026 qui distillera l’humour, le rock’n’roll, le hip hop et le jazz à partir du 12 septembre.
– Comment va le TPR ?
– Il va bien et ses structures se renouvellent ce qui est bon signe. Après une longue collaboration, André Simon-Vermot cède sa place à Stéphane Gattoni à la technique. M’apprêter à dire au revoir au TPR agrémente aussi en partie la vie de ce théâtre pas comme les autres qui est apprécié de la population et des artistes qui s’y produisent ou viennent en résidence.