Pacifiste et non-violent convaincu, Ziad Medoukh est professeur de français à l’université. Il habite à Gaza-ville, lieu qu’il a toujours refusé de quitter. Dans cette chronique, il parle de la vie à Gaza mais aussi d’espoir et d’avenir.
Une tragédie sans fin quand Gaza meurt de faim
Après 22 mois d’agression, la situation va de mal en pis dans la bande de Gaza. En plus des bombardements intensifs et incessants et l’insécurité, une vraie famine s’est installée. Et moi, personnellement, je suis en train de vivre une détresse totale. C’est difficile de la décrire et de la raconter tant la situation est horrible.
Face à la famine, la solidarité s’amenuise
Il n’y a quasi rien sur le marché, les produits sont introuvables et le peu qu’on y trouve, ce sont quelques pâtes, quelques boîtes de conserve, des lentilles, des haricots blancs et des petits pois qui coûtent des prix impensables. Je vais tous les jours au marché et je reviens sans rien. Cela me fait de la peine pour les enfants, pour les gens qui habitent avec moi. Tout le monde souffre.Le slogan « Personne ne meurt de faim à Gaza » a été remplacé par « Tout le monde crève de faim à Gaza ». La solidarité familiale et sociale qui a toujours été un point fort dans l’enclave palestinienne, même assiégée, est devenue minimale. En ce qui me concerne, je reste parfois deux ou trois jours sans rien manger car je préfère donner un morceau de pain à mes enfants quand j’en trouve.
Des organisations internationales complices de ce piège mortel ?
Seuls deux ou trois camions de ravitaillement passent par jour, destinés aux organisations internationales, organisations qui mettent leur contenu dans leurs dépôts sous prétexte qu’il n’y a pas assez pour distribuer à tout le monde. Ces dépôts sont régulièrement attaqués par des groupes armés ou par des personnes affamées. Les organisations internationales disent qu’elles ne peuvent rien faire. Sont-elles complices de ce piège mortel qu’est cette famine utilisée comme arme de guerre ? Dans les faits, il y a deux centres de distribution gratuite depuis le 27 mai dernier mais seulement au sud et au centre de la bande de Gaza. Ces centres sont gérés par une société américaine complice de l’armée israélienne.
Des commerçants profitent de la situation pour faire des affaires
Quand la population affamée s’approche pour récupérer quelques sacs ou quelques boîtes de conserve, on lui tire dessus. Depuis le 27 mai jusqu’à fin juillet 2025, il y a presque eu 930 morts et 5600 blessés palestiniens. Il y a de plus des commerçants malhonnêtes qui récupèrent l’aide puis la revendre beaucoup plus cher à Gaza ville. Exemple : Si un sac de farine de 25 kg s’achète 500 € (20 € le kilo) il sera revendu 75 à 80 € le kilo à Gaza ville. Pour 1 kg de sucre, il faut compter 130 €. 1 kg de riz, 80 € ! Impensable ! Le problème, c’est qu’il n’y a ni autorités, ni gouvernement, ni société civile pour gérer la situation, organiser le marché et contrôler les prix. Les commerçants décident eux-mêmes des prix pour profiter au maximum de la situation.
La classe moyenne en souffrance totale, quid des plus pauvres ?
Comment la population survit-elle dans cette situation extrême ? Personnellement, je souffre et, pourtant, je fais partie de la classe moyenne. Avec d’autres habitants, nous avons décidé de boycotter les commerçants « qui profitent ». Je dois nourrir mes enfants, mais c’est trop cher. Le soir, quand tout le monde dort, je pleure pour cacher mon impuissance. Je me pose toujours la question : est-ce que je suis têtu ? Est-ce que, parce que j’ai refusé de quitter Gaza, j’en paie aujourd’hui les conséquences ? Je ne sais pas. Mais c’est difficile de raconter, de décrire ma détresse totale, mon incapacité d’agir dans cet enfer, parce que c’est l’impuissance totale. Et pourtant, moi, je suis privilégié parce que j’ai des amis et j’ai des réseaux. Je parle avec une dizaine de personnes par jour sur Internet. On échange, on discute, ils me soulagent, m’envoient des photos, des vidéos de la solidarité qui s’organise.
Des associations qui se montrent plus belles qu’elles ne le sont ?
Pour une fois, j’ai décidé de laisser tomber mon orgueil et j’ai demandé de l’aide par l’intermédiaire d’amis français, suisses ou belges ayant des liens avec des structures qui financent des associations à Gaza. Elles prétendent distribuer de la nourriture à des centaines de familles dans la ville de Gaza et envoient des photos et des vidéos de leurs actions tous les jours sur les réseaux. J’ai demandé un peu de nourriture pour ma famille et moi, ainsi que pour les déplacés de mon immeuble. La réponse des associations est qu’elles ne peuvent rien fournir car tout est trop cher. Mais comment font-elles alors pour nourrir des centaines de familles comme elles le prétendent, photos et vidéos à l’appui ? Bref, on sent ici que tout le monde est complice pour briser la volonté de la population civile épuisée.