Interview de Laurent Lecamp, CEO des montres Montblanc
La durabilité est une priorité chez Montblanc, elle figure en bonne place sur le site de la marque. L’engagement environnemental est obligé quand on porte un nom aussi symbolique que celui du plus haut sommet européen. Mais pérennité et transmission sont également des valeurs gravées dans l’esprit du CEO Laurent Lecamp. Avant de reprendre la direction des montres Montblanc, il avait publié C’était comment dans 1000 ans, un livre consacré aux entreprises qui traversent les siècles. La plus ancienne est une auberge japonaise aux mains de la même famille depuis l’an 718. Au XXIe siècle, la durabilité c’est avant tout des mesures en faveur de la planète.
– Que fait Montblanc pour diminuer son empreinte carbone ?
– On utilise dans la mesure du possible des matériaux recyclés mais, si dans 20 ans votre montre ne peut pas être réparée, où est la durabilité ? Je pense qu’un produit est « sustainable » à partir du moment où il peut être transmis, gardé, réparé !
– La priorité n’est donc pas le recyclage ?
– Utiliser des matériaux recyclés à 100 % pour des montres, ça peut entraîner des problèmes de qualité du produit et même d’allergies. Il faut travailler avec du recyclé et du neuf ainsi que s’adapter au développement des technologies.
– D’autres mesures ?
– Chez Montblanc, on a développé le concept zéro oxygène. Ça, c’est de la durabilité !
– Ah oui ?
– L’histoire est liée à notre ambassadeur de marque, l’alpiniste Reinhold Messner, le premier qui a gravi les 14 sommets de plus de 8000 m sans oxygène dans les années 1970. L’oxygène provoque le vieillissement de nos cellules. C’est valable aussi pour les montres. Nous avons enlevé l’oxygène qui se trouve dans les montres de nos collections Iced Sea et 1858. Les composants s’oxydent moins, la montre dure plus longtemps. Et le processus est très peu énergivore.
– La durabilité est un secteur d’innovation ?
– Oui. On a créé une collection où l’on récolte le CO2 généré par le recyclage des déchets par exemple. On a trouvé le moyen de transformer ce gaz en poudre, qu’on utilise pour créer nos boîtiers de montres.
– C’est plutôt symbolique ?
– Absolument ! Mais ça donne aussi des idées d’application à un niveau plus global.
– La durabilité, c’est une exigence de marketing ?
– Il faut faire attention. Les procédés de recyclage peuvent s’avérer plus énergivores que l’utilisation de matériaux nouveaux. Et il est très rare que nos clients nous posent des questions sur la durabilité. Ils s’intéressent en premier lieu au design et à la marque. Vous achetez un produit qui vous plaît avant de savoir de quoi il est fait.
– L’horlogerie et le luxe connaissent un coup de mou. Comment ça va, vous ?
– Il y a un ralentissement global dans l’horlogerie. On s’est concentré sur nos produits phares et on s’est rapproché encore plus de nos clients. L’autre jour, j’ai directement appelé une cliente qui avait un petit souci dans notre boutique de Lille, ça ne s’était jamais fait.
– C’est un changement de stratégie ?
– Dans une période de difficulté économique, la valeur perçue du produit diminue car vous devez faire attention à vos dépenses. Pour l’augmenter, il faut pouvoir raconter une histoire sur ce produit. Un jour, je suis parti à Chamonix prendre une photo du glacier. Il y avait une réverbération incroyable. à partir de cette photo, on a créé le premier cadran glaciaire en horlogerie, un processus qui dure 30 jours. à la fin, on voit les veines du glacier du Mont-Blanc. C’est l’origine de la collection Iced Sea, mer de glace.
– Raconter une histoire comme celle-ci, c’est la clé du succès ?
– Il y a 3 éléments qui mènent au succès : le storytelling, être différent de nos concurrents et l’innovation.
– Quel est votre best-seller ?
– La Iced Sea, nos meilleures ventes depuis que les montres Montblanc existent. Prix moyen, environ 3500 francs.
– Les montres Montblanc ont un côté vintage, c’est porteur ?
– Oui, ça correspond à une certaine nostalgie qui est à la mode. Mais il faut faire attention et continuer à innover, c’est une priorité, car l’innovation d’aujourd’hui sera le vintage de demain.
– Y a-t-il un avantage à appartenir à un groupe comme Richemont ?
– Cela nous donne un accès à l’information sur ce qui se passe partout dans le monde sur les marchés, les tendances touristiques, on a une connaissance complète sur les prix, la concurrence… C’est un énorme atout. Pour naviguer dans une période économique troublée, il vaut mieux avoir une vision claire, et Richemont nous apporte cette boussole.
– Vous cherchez à développer de nouveaux marchés ?
– J’ai travaillé au Japon et en Inde. Le Japon est déjà un marché très mature. Je crois beaucoup au développement de l’Inde où le nom Montblanc a une forte notoriété. Il y a beaucoup de collectionneurs avec qui on cherche à développer nos liens. Il est important d’avoir une répartition géographique la plus large possible pour parer à un déséquilibre éventuel de toute une zone.
– Vous pensez au marché américain ?
– Le marché américain est très porteur mais devenu incertain avec la question des droits de douane. Il faudra trouver des solutions.
– Vous produisez vos montres au Locle et à Villeret, loin du mont Blanc. Quel est l’attachement de la marque pour l’Arc jurassien ?
– Mais le mont Blanc, on le voit, il est juste en face ! Et on se trouve dans le berceau historique de l’horlogerie. La manufacture du Locle est une ancienne maison bourgeoise construite en 1906, l’année où est née la marque Montblanc. Le Locle, pour nous, ça fait du sens. Notre attachement au Locle est logique. On s’investit beaucoup dans la vie locale en soutenant différentes activités et des musées. Le Locle n’a pas toujours une image des plus glamour ! Je trouve la ville très belle, j’aime son architecture, qui est à l’UNESCO, le street art, son environnement naturel magnifique… Il y a beaucoup plus de soleil qu’on ne le pense !