Pod dénaturé ? Ces goulets d’étranglement qui fâchent

Giovanni Sammali

Vous rêvez d’un nouveau sprint final d’une course cycliste au pied d’Espacité ? Oubliez : les aménagements en dur sur l’Avenue l’excluent. Ils seraient même dangereux au quotidien

La Tchaux tomberait-elle en désamour avec son Pod, l’avenue centrale qui fait sa fierté ? Les Champs-Elysées chaux-de-fonniers, dédiés à Léopold Robert, ont offert par le passé, outre une ligne de tram, jusqu’à trois voies de circulation dans chaque sens ! Les cortèges des promotions ou encore les déambulations des Horlofolies se déploient avec bonheur sur cette vaste étendue de macadam réservée au trafic, principalement automobile. Mais la bagnole n’est plus en odeur de sainteté. L’ère est à la mobilité douce, à la piétonisation et au calme, pour rendre les centres plus attrayants.

La Métropole horlogère avait du retard dans le domaine. En voulant le rattraper trop vite, elle semble bien s’être tirée une balle dans le pied, en dénaturant son Pod chéri. Les rétrécissements en durs à la hauteur du croisement avec la rue du Dr Coullery, ou à l’embouchure ouest du Pod, font grimacer. Lors des repérages en vue de l’étape Morteau-La Chaux-de-Fonds du Tour de Romandie, attendue le 27 avril, comme lors de la récente visite de Bernard Hinault, ces obstacles ramenant la majestueuse artère à une unique voie de circulation ont été décriés.

Chef de l’urbanisme, le conseiller communal Théo Huguenin-Elie défend la chose… au sprint ! « Nous avons réfléchi à ces aménagements pour le bien-être des citoyens, pour améliorer chaque jour la qualité de vie et l’attractivité du centre-ville, et pas en fonction de compétitions cyclistes arrivant chaque cinq ans ou plus ».

Alexandre Houlmann, un des piliers de l’organisation d’arrivées cyclistes à La Tchaux, comprend la volonté de redorer le centre-ville. « J’y suis favorable. Mais au risque de fâcher mon camarade Huguenin-Elie, je rappelle que j’avais rendu attentif, quand je siégeais au Conseil général, sur la nécessité de ne pas entraver des événements ponctuels, en optant pour des éléments amovibles ».

Théo Huguenin-Elie dédramatise : « Le Tour de Romandie va quand même arriver sur le Pod cette année, à la hauteur de la place de la Gare ! ». Oui, mais une voie de circulation sur la partie sud devra toutefois rester ouverte pour les bus TransN. Ce n’est pas idéal. Le Tour de France nécessiterait de couper la gare des bus une journée entière, ce qui relève de la mission impossible. « Notre ville offre d’autres solutions que le Pod, rétorque le socialiste, citant le stade de La Charrière ou la piste de l’aéroport des Eplatures.
Théo Huguenin-Elie se retrouve en frontal même avec son paternel, co-président du comité d’organisation chauxois. « Théo m’a expliqué la réflexion de la Ville, que je comprends. En considérant des solutions facilement démontables (ndlr : les ronds-points de l’avenue du 1er Mars à Neuchâtel), on peut toutefois avoir quelques regrets… », grommelle Yves Huguenin-Elie.

Lucien Bringolf, communicateur et membre du comité chaux-de-fonnier, note que d’autres manifestations, elles aussi gênées, ont été oubliées. « Le Pod est une carte de visite de notre ville. Maintenir 1 km continu à deux voies l’aurait préservée. On parle quand même de nos Champs-Elyséees ! Et à la gare, dans les images tv, adieu les marqueurs de la Métropole horlogère que sont la tour Espacité et la Grande-Fontaine… ». A contrario, on peut noter que les téléspectateurs pourront admirer l’esthétisme de la place de la Gare, son contraste entre patrimoine et modernisme, sans oublier l’aigle de Léopold-Robert 68 !

Conseiller communal en charge des sports, Thierry Brechbuhler ne jette pas la pierre à son collègue en charge de l’urbanisme et des bâtiments. « Les problèmes posés pour cette arrivée du TDR nous ont mis la puce à l’oreille. Nous allons être attentifs à cette problématique, en sachant que si le Tour de France retient notre candidature ces prochaines années, nous devrons trouver des solutions ».

Combler l’espace entre les trottoirs ? Les démolir pour le passage et l’arrivée des coureurs ?
« Rien n’est irrémédiable! Un temps, la Ville a pensé à supprimer l’escalier monumental qui descend du centre Numa-Droz vers la rue du Collège-Industriel. Eh bien, ce majestueux escalier a finalement été sauvé », rappelle Lucien Bringolf.

 

 

La faute à la suppression des feux

Le rétrécissement du carrefour Pod – Docteur Coullery – Casino a permis d’y supprimer les feux lumineux. A l’horizon 2025, l’idée est de faire disparaître tous les feux de l’avenue, comme lors du chantier de la place de la Gare. Plus que l’économie générée, ce sont les avantages urbanistiques et de circulation que la Ville invoque.
Et cet objectif impose de réduire à une voie le trafic motorisé. Aux yeux de l’Office fédéral des routes en effet, un passage piéton traversant deux voies de circulation allant dans le même sens n’est plus accepté, car jugé non sécurisé. Reste que des aménagements amovibles peuvent à la fois contraindre le trafic sur une voie et être retirés le moment venu, si toute la largeur est utile temporairement pour un événement. Ou alors, aurait-on pu aller au bout, et mettre le Pod en zone 30, avec piétons prioritaires, de la gare à la Grande-Fontaine ?

 

 

Hinault : « piste d’aéroport ? Moins bien que le centre ! »

Reste que tracer une ligne loin du centre-ville, en terme d’image et de promotion, c’est galvauder la vitrine que représente une course cycliste du WorldTour UCI. « Les Autorités font la même erreur partout. Le Tour de France veut arriver au cœur des villes, dans des endroits marquants qui paient à la tv. Le bout de votre avenue, avec sa tour et sa Grande-Fontaine offre le cadre idéal. Un aéroport régional, excusez-moi, mais c’est peu excitant comme décor », lance Bernard Hinault.

 

Même problème à Yverdon

Bernard Bärtschi, directeur technique du Tour de Romandie, rencontre ce problème d’aménagements empêchant de déployer un site d’arrivée ailleurs aussi. « Les infrastructures exigent d’immenses surfaces. Le 27 avril, une grande partie de la place de la Gare sera occupée, avec le village d’arrivée, le podium, le studio de la RTS et tous ses véhicules, etc. A Yverdon-les-Bains aussi, des ilots en durs sont prévus. J’ai prévenu que nous ne pourrons plus faire arriver le peloton au même endroit. Il y a aussi de plus en plus d’embuches pour les tracés… ».

Et le chef des parcours de la Boucle romande de regretter que des aménagements amovibles, bacs, bordures ou plots, ne soient pas privilégiés dans les endroits qui se prêtent bien à des arrivées.

 

 

Dangereux pour les bicyclettes ? Balmer dit oui. Brechbuhler, non

Tant pis si ce Pod rétréci chasse du centre-ville les courses de vélo ? Le problème, c’est que même le cyclisme urbain au quotidien en perd les pédales !

Alexandre Balmer, champion du cru qui roulera dans les rues de la ville lors du prochain TDR, ne cache pas sa perplexité. « Même si je roule peu par ici, je suis choqué par la très grande hauteur de ces trottoirs, comme à la hauteur du rétrécissement devant le Théâtre. On passe de deux voies à une seule. Il y a bien une petite bande marquée pour les vélos. Mais si je passe là et que je me fais tasser par une voiture ou un bus, impossible de sauter sur le trottoir, comme on le fait pour éviter d’être touché et poussé au sol. Mon père est fâché : il dit que c’est carrément dangereux ». Et le jeune professionnel de citer Saint-Imier, où la chaussée centrale réaménagée du centre présente désormais des trottoirs au même niveau que la chaussée.

Sur cet aspect délicat aussi, Thierry Brechbühler, conseiller communal en charge des sports, vient au secours de son collègue Théo Huguenin-Elie. « Je fais pas mal de vélo pour mes trajets en ville. J’ai emprunté le Pod et ces rétrécissements. Je ne m’y sens pas en danger. Si un bus est derrière moi, pas de souci, si il est devant, je passe après. Mais c’est vrai que je suis un cycliste du genre prudent ! ».

On notera que l’élu préfère éviter de passer dans le goulet en même temps qu’un bus…

Les rétrécissements sur le Pod, comme ici à la hauteur de l’Heure Bleue, ne permettent pas les arrivées de courses cyclistes devant les marqueurs de la Métropole horlogère, que sont la tour Espacité et la Grande Fontaine. (Photo jpz)
Les rétrécissements sur le Pod, comme ici à la hauteur de l’Heure Bleue, ne permettent pas les arrivées de courses cyclistes devant les marqueurs de la Métropole horlogère, que sont la tour Espacité et la Grande Fontaine. (Photo jpz)

Découvrez nos autres articles

De l’ingérence politique sur le continent européen Troublantes incursions américaines à Berlin et à Bucarest. Alors que les services de renseignement allemands s’alarment des