Les bobets du fun

Miguel Angel Morales
Ecrivain et afficheur public

C’était l’une de ces soirées à thème qu’une moelle épinière en roue libre avait conçue comme un défi au bon goût et à la street credibility, denrée plutôt rare à mille mètres d’altitude. Ce ne sont pourtant pas les rues qui manquent dans la métropole horlogère. Faudra qu’on m’explique ça. Après des débuts en fanfare -Zim ! Boum! Hue !-, String Contest était définitivement the place to be et cette bande particulière de bobets du fun, beaux et photogéniques -et très conscients de l’être-, était bien déterminée à y cramer sa jeunesse. Bondissants, virevoltants, ils savaient se mettre en scène. Tout était dans le regard et le reste dans la pose. Ils étaient cool. Ils portaient beau. Cherchez la faille. Bingo.

Ils dansaient avec la rage désespérée de celles et ceux que la trentaine menace, qu’une grande fatigue commence à flétrir. La vie freinait. Le geste esthétisant se faisait rare. Les petites pilules colorées perdaient de leur sex appeal. Les filles entrevoyaient leur premier enfant à travers un nuage rose et noir fait d’attendrissement et de peur panique. Les garçons savaient l’armoire où ils rangeraient leur béret de marque et le tiroir où se déverseraient, dans un grand fracas, les copains du pub, les amis de toujours.

Depuis Boboland, accrochés à leur périscope, les parents scrutaient ces couples encore jeunes et bientôt à l’épreuve, tout en entretenant le jardin du souvenir d’un joli mois de mai dont ils n’avaient connu que de lointaines répliques cosmétiques, ce dont ils se trouvaient bien. Tout allait bien se passer. Ils y veillaient.

Et moi ? Je stationnais à l’extrémité du bar, comme d’habitude, tout près de la sortie. Le mec prudent. Oui mais. Cherchez la faille. Je sirotais mon rouge valaisan et je ne partais pas. Ils étaient cool. Ils étaient beaux. Ils occupaient l’espace avec une grâce féline et n’avaient pas appris à renverser leurs cocktails. Je sirotais mon rouge. Je m’étais pris la quarantaine dans la gueule et n’entrevoyais rien. Salauds de jeunes.
Miguel Angel Morales, écrivain et afficheur public.

 

Hispano-chaux-de-fonnier en exil aux Barrières, l’un des fondateurs de Plonk et Replonk.
Auteur de Les choses gonflables (Torticolis et frères)

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