Guilhermino Texeira ouvre dans l’ancien cinéma Eden la Dançetaria Arrasta ò pé, du nom d’une célèbre salle lisboète. Visite guidée en avant-première.
« Je le fais pour la passion de la musique et de la danse, bien sûr. Pour diversifier les offres de sorties de notre ville, et pour ne plus voir des couples amateurs de danse de salon devoir se rendre jusqu’à Lausanne !». Le grand jour est arrivé pour Guilhermino Texeira. Depuis des mois, il prépare l’ouverture de sa salle de danse, sa dançetaria, comme on dit au Portugal. Il lui a d’ailleurs donné le nom d’une salle lisboète. Dans l’ancien cinéma Eden, il veut faire valser La Tchaux et la région. Tous les week-ends à compter de celui-ci, la Métropole horlogère va se muer en pôle de la danse. Le Ô vous invite en piste. C’est facile : et un, deux, trois… Et vite, vite… et lent !
Ce samedi 19 novembre à 22h00, au lendemain de l’inauguration privée de ce vendredi soir, la Dançetaria ouvrira pour la première fois ses portes. Le groupe lusitanien Marante va ouvrir le bal. Attention, pas de prélocation, sauf en passant sur place et en payant d’avance son ticket d’entrée. Il est à 25 frs samedi, 20 frs dimanche (dès 17 h).
Précision de l’initiateur, le lieu n’est en rien ciblé sur la communauté portugaise: « Nous avons bientôt une soirée italienne. Il y aura du tango, de la valse, de la country, des marches. Toujours avec de la musique live. Tout le monde est bienvenu. Surtout celles et ceux qui ont envie de danser. » Cette dimension sociétale a interpelé l’ethnologue de l’UniNE Ellen Hertz et l’a incitée à venir étudier les… premiers pas de ce projet avec ses étudiants en ethnomusicologie (lire ci-dessous).
Ancien de chez Nexans, monteur indépendant en télécommunication depuis 2012, le patron n’a pas un parcours prédestinant à un tel défi. « Sauf que j’ai la musique et la danse dans la peau, et qu’à l’époque, j’ai fait des animations comme DJ », sourit Guilhermino.
Il peut compter sur Cristina de Sousa, autre passionnée de danse, comme gérante du lieu. Pour elle aussi, cette ouverture est une grande première, avec tout le trac qui va avec. Elle tiendra le bar dès le matin à partir du mercredi. La salle de danse enflammera les nuits, du vendredi au dimanche.
Dès janvier 2023, une école de danse biennoise donnera des cours le mercredi dans la Dançetaria. Les cours de tango installés depuis peu rue du Grenier (lire ci-contre) auraient pu prendre pied à l’Eden. « Mais nous n’étions pas prêts à temps »… N’empêche : on risque bien de voir des couples venir tester leur pas sur la grande piste de la Dançetaria !
« La salle peut aussi être réservée pour des soirées de fin d’année ou des séminaires avec un traîteur de la place ». Le lieu ne fait pas restaurant, mais propose de la snackerie. « Des petites planches et des sandwiches fait minute sur place ». Le midi, en semaine, un pack proposera sandwich, soupe et dessert à prix promis très abordable.
En conclusion, le message du patron à la population : « Sortez, venez profiter de cet espace de convivialité. On est là pour vous accueillir !
Des embûches et des chiffres
Transformer un cinéma en salle de danse ? Un défi semé d’embuches. « Il a fallu compenser la pente de la salle », raconte l’initiateur. Qui a investi un demi-million de francs. « 200’000 rien que pour la ventilation, 50’000 pour la sono et le light ». Le loyer mensuel se situe autour de 5’000.-. Les autres chiffres : 5 employés, dont 3 plein-temps ; 1 galerie aménagée en bar avec des anciens fauteuils du cinéma ; 100 m2 de piste de danse ; un espace détente au calme à l’étage, avec mini-studio photo, une scène de 6 m de large pour 3 m de profondeur. Prêts-e-s à valser ?
Un laboratoire vivant pour l’UniNE !
Mais quelle mouche a donc piqué Ellen Hertz, professeure d’ethnologie de l’UniNE ? Elle consacre un séminaire de recherche de Master sur les dynamiques sociales animant la Dançetaria de La Chaux-de-Fonds. Le Ô a posé la question à la scientifique, dont on se plait à rappeler qu’elle est tombée en amour avec notre ville !
– D’un point de vue anthropologique ou ethnologique, qu’est-ce qui vous intéresse particulièrement dans ce lieu ?
Nous faisons l’hypothèse que le développement de ce lieu opère comme un révélateur de dynamiques sociales plus larges, et qui sont présentes aussi bien à La Chaux-de-Fonds que dans la société suisse dans son ensemble.
– Qu’allez-vous y observer ?
Nous nous intéresserons aux répertoires de danses et de musiques (« à l’ancienne » ? « ethniques » ? « du monde » ?) comme aux relations sociales sur la piste de danse (couples stables ou recomposés à chaque morceau ? d’amis ou d’inconnus ?). Nous enquêterons également sur ses liens avec des questions sociales et politiques d’actualité : le lieu sera-t-il « inclusif », pour qui et pourquoi ? Sera-t-il un lieu d’« intégration » ? Peut-il servir de lieu de sociabilité pour des personnes de troisième âge ? Les questions sont infinies et notre temps limité mais nous nous réjouissons énormément de cet exercice grandeur nature !
Etudiante ethnomusicologue emballée
Témoignage d’une étudiante : « L’ethnomusicologie s’intéresse à l’étude du fait musical, au plan contextuel et culturel. A cet égard, le travail de terrain autour de la Dançetaria, intégré dans le cours « Musique et Sociétés » de Mme Hertz, revêt pour l’étudiante que je suis une extrême importance dans ma formation universitaire.
La plupart de mes collègues d’ethnomusicologie et moi n’avons encore jamais effectué un travail de terrain incluant la pratique de la danse, comme c’est le cas avec la Dançetaria Arrasta o pé. Nous sommes tous très motivés par ce plongeon dans le monde des salons de danse.
Cet espace a aussi la particularité d’ouvrir les portes sur différents axes d’étude comme la migration et la question identitaire. Le propriétaire M. Teixeira est comme moi d’origine portugaise, et je suis curieuse de voir comment cet aspect identitaire se reflète dans un endroit comme un salon de danse.
Comme la musique, la danse est une pratique qui favorise les échanges humains. Selon moi, la Dançetaria a le potentiel pour devenir un espace de rencontre et de partage entre différentes cultures et générations, et pour enrichir l’esprit communautaire de la ville ».
Ana Pires