Elle révèle l’âme de la pierre

Bernadette Richard

Jacqueline Jeanneret a sculpté toute sa vie. Et à 75 ans, elle continue !

La Locloise Jacqueline Jeanneret n’a rien d’une allumée. Forte en math, géniale bricoleuse, elle a pourtant été appelée par la pierre. Et l’appel a été plus fort que l’interdiction paternelle d’entrer aux beaux-arts. Elle entreprend une formation de dessinatrice industrielle – comme si la microtechnique allait satisfaire ses ardeurs créatrices ! C’était compter sans l’inconscient qui finit par la rendre malade. Elle ne voit qu’une solution, tailler la pierre.

Elle suit alors les cours du soir de l’Ecole d’Art de La Chaux-de-Fonds, en modelage. Fidèle à son idée, elle demande à la marbrerie du Col-des-Roches (qui n’existe plus) si on lui permettrait, dans un coin d’atelier, de réaliser ses projets. Le patron qui l’a accueillie lui dit un jour : « Si vous étiez un homme, je vous engagerais ! » L’époque n’était pas encore à la libération féminine, elle est néanmoins engagée.

Elle travaille enfin dans son élément. Certes, elle réalise surtout des pierres tombales, mais elle apprend à manier le marteau pneumatique et dès lors, se promet de ne jamais se laisser avoir par l’outillage : « Celui-ci devra rester à mon service. » Elle ne dérogera pas à sa promesse.

Tout en gagnant sa vie, elle a un lieu où laisser s’exprimer son imaginaire. Un Loclois amateur d’art lui propose d’exposer à la Librairie La Plume à La Chaux-de-Fonds. Le succès est au rendez-vous, elle vend une bonne dizaine de pièces.

La voilà intégrée au monde secret de la pierre. Elle participe à des expositions, gagne plusieurs prix, crée sur demande pour des particuliers, des industriels, des mairies, mais reste distante du milieu et ne fera jamais partie d’une société d’artistes : « J’en ai entendu des méchancetés de la part de collègues masculins, comme si une femme n’avait rien à faire dans cette profession. » Il en aurait fallu davantage pour la détourner de sa vocation. « La pierre nourrit mes projets. Depuis le temps, j’ai constaté qu’il y avait un véritable retour d’énergie d’elle à moi. »

Jacqueline Jeanneret cherche ses marbres, calcaires et autres serpentines, dans des carrières et les entrepose dans sa cour. Quand la pierre lui fait un clin d’œil, elle se met au travail. D’une modestie inversement proportionnelle à son talent, elle vit entourée de drôles de bestioles, comme le lama moqueur qui garde la porte d’entrée.

 

 

Les Dahus veillent au grain

Un matin, la sculptrice perçoit un appel : Madame et Monsieur Dahu exigent d’émerger de deux calcaires entreposés à sa porte depuis trop longtemps. Ni une, ni deux, l’artiste commence à scier, tailler, gratter, fignoler les pierres qui lui font signe. Et voilà le couple en pleine forme, observateurs des battements du monde.

Les deux œuvres ont séduit des amateurs à plusieurs reprises, Jacqueline Jeanneret ne cesse de recevoir des propositions d’achat. Mais pas question de s’en séparer. Les deux gardiens refusent de quitter leur rocher. « Ils veillent au grain chacun de son côté, hument l’air ambiant, enregistrent le moindre frôlement du vent le plus petit frémissement des insectes. La flore n’a plus de secret pour eux. »

La fin de l’année venue, Jacqueline Jeanneret inverse leur place. Madame prend celle de Monsieur et vice-versa. Et ainsi face à face pour l’hiver, ils se racontent par le menu détail, les événements de l’année ! Au printemps, chacun reprend son poste d’observation !

À droite le lama de Jacqueline Jeanneret, qui a aussi réalisé deux dahus comiques (Photo : br)
À droite le lama de Jacqueline Jeanneret, qui a aussi réalisé deux dahus comiques (Photo : br)

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