À la hauteur

Laure Chappuis

L’offre d’emploi est arrivée vendredi matin en courrier A. Elle se demande si elle sera à la hauteur.

La route s’élève, sinueuse, au-dessus de la plaine que voilent de fines volutes bleutées. Stratus sur la ville ou fumées d’Indiens ? Elle a un peu mal au cœur.

Ces quelques jours en altitude lui permettront de prendre de la hauteur, de reconsidérer la situation d’un œil neuf. La vue sur les parois rocheuses est splendide, un rien oppressante. Rien de tel qu’une promenade pour réfléchir au calme. Elle va suivre les panneaux fléchés, éviter les pistes de fond et les coureurs pressés. Prendre son temps.

À cheminer le long des bisses, elle se dit qu’à plat, c’est plus facile, que continuer la route ainsi est à la mesure de ses forces. À la bifurcation, elle choisit de suivre le sentier qui se faufile entre les arbres, escarpé, irrégulier. Les pives roulent sous ses boots. Elle a le souffle court, croque quelques Leckerlis au glaçage citronné avant de reprendre sa marche vers les sommets. Par endroits, la glace a enfermé les aiguilles de sapin pour former un tapis glissant. Par instants, la surface scintille. Sous ses pas, la fine couche glacée craque et se fissure en étoiles. Enfant, elle n’a jamais patiné sur le lac gelé, trop peur du gouffre froid où dorment, englouties, les libellules prisonnières et les âmes imprudentes.

Elle rentre par la route, c’est plus sûr. Sur l’autre versant, les crêtes enneigées bouchent l’horizon. Elle rêverait de descendre dans le Sud, Nino Ferrer dans la tête, la chaleur comme cocon.

L’offre est restée sur son bureau. Va-t-elle tenter l’aventure ou jouer la sécurité ? Fera-t-elle le poids ? se demande-t-elle en engloutissant une pleine poignée de biscuits.

 

Dernière publication : S’en remettre au vent, éditions d’autre part, 2015.

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