« Une immersion dans l’histoire de l’humanité »

Olivier Kohler

Jeux de guerre et de stratégie, les « Wargames » influencent l’approche des conflits modernes. Rencontre avec Matthieu Karrer, l’un des meilleurs spécialistes de ce phénomène en Suisse et en Europe.

L’armée américaine les utilisent pour se préparer à un potentiel conflit avec la Chine à Taïwan. Les plus hauts responsables militaires ukrainiens ont élaboré leur contre-offensive de l’été 2022 à l’aide de ces jeux de guerre et de stratégie : les « Wargames », une approche que n’aurait pas renié l’officier prussien Carl von Clausewitz, l’un des plus célèbres théoriciens militaires, auteur d’un essai majeur -intitulé sobrement : « De la guerre ». Apparus dans leurs premières versions il y a 2000 ans, ces « Kriegsspiel », très prisés par les grands stratèges militaires du XIXème siècle, le sont aujourd’hui par les Etats-majors des forces occidentales, les utilisant à des fins de préparation et de formation, tout particulièrement dans le monde anglo-saxon. « Cela fait très longtemps qu’ils utilisent le Wargaming pour définir leurs stratégies et élaborer des scénarios. Lors de la Deuxième guerre Mondiale, les grands stratèges américains ont massivement fait recours aux Wargames. En cas d’attaque du Japon, ils avaient imaginé beaucoup de scénarios… sauf l’utilisation des kamikazes lors de l’attaque de Pearl Harbor », relate Matthieu Karrer, spécialiste en stratégie et expert en sécurité globale.

 

Un Wargame dédié au conflit ukrainien

Physicien de formation, originaire de La Chaux-de-Fonds, il s’est affirmé comme l’un des meilleurs connaisseurs du « Wargame » en Suisse et en Europe. « Le Wargaming, c’est un espace de débat où l’on peut tester des scénarios et des stratégies, en se mettant dans la tête de l’adversaire. En apparence ludique, cet outil permet de modéliser des réalités complexes et de mieux appréhender les différents scénarios et les stratégies. A priori, la guerre n’a rien d’un jeu, mais le jeu peut s’avérer être utile aux grands stratèges militaires. » Aux Etats-Unis, par exemple, le Center for Strategic and International Studies (CSIS) a récemment élaboré une vingtaine de scénarios dans la perspective d’un conflit armée avec la Chine. La guerre en Ukraine et la dégradation du contexte sécuritaire international ont remis ces pratiques ancestrales au goût du jour. « L’OTAN et les stratèges militaires américains ont créé un Wargame entièrement dédié au conflit ukrainien. Ils ont synthétisé toutes les informations et les renseignements de terrain dont ils disposaient pour élaborer des stratégies de contre-offensive », explique Matthieu Karrer.

« C’est certes un outil très précieux pour les militaires, mais pas uniquement. Cela s’est révélé être un support pour la gestion de crise, comme la pandémie ou la perspective d’un black-out. » Une modélisation qui permet de mieux appréhender les stratégies et les prises de décisions. Mais pas seulement. « C’est aussi une formidable immersion dans l’histoire de l’humanité. Je frissonne quand je revis dans un jeu les premières heures de la bataille de Waterloo. On se retrouve la tête des grands décideurs de l’époque et on comprend mieux leurs dilemmes stratégiques. Le Wargaming constitue un espace de liberté et de pensée, sans contraintes technologiques et sans à priori hiérarchique. On travaille dans un esprit Low Tech, avec un plateau, des cartes et des figurines… C’est très enrichissant sur le plan historique et intellectuel. Absolument magique et ludique. »

 

« A priori, la guerre n’a rien d'un jeu. Le jeu peut en revanche être utile aux stratèges militaires ». 
Modélisation d’une bataille au Moyen-Orient, lors de l’Antiquité. Source : Matthieu Karrer.
« A priori, la guerre n’a rien d'un jeu. Le jeu peut en revanche être utile aux stratèges militaires ». Modélisation d’une bataille au Moyen-Orient, lors de l’Antiquité. Source : Matthieu Karrer.

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