Faire le poids

Thomas Sandoz,
écrivain*
www.ccdille.ch

J’ai compris que je ne faisais pas le poids un jour de 1975 où je suis resté enfermé dans un ascenseur de l’immeuble rouge et blanc non loin du Bois du Petit-Château. Je raccompagnais Bouli, mon copain d’école primaire, qui habitait au douzième étage. La porte s’est refermée sur nos salutations, la cabine est descendue d’un demi-mètre et puis, dispositif de sécurité de l’époque oblige, plus rien. Silence et obscurité. 

Bouli et moi, c’était Laurel et Hardy en couleur. Il était presque aussi large que moi haut. Il portait un pull en laine tricoté par sa grand-mère aveugle, la mienne s’essayait au batik. Outre le fait de retrouver chaque semaine nos affaires de gym aspergées de shampoing, nous avions en commun une passion pour le Manuel des Castors Juniors. 

Pour le coup, les conseils de notre bible pour faire des oeufs cubiques, éloigner un grizzli un peu taquin et compter comme les Aztèques ne m’étaient guère utiles. 

Que pouvais-je faire, à part appeler avec ma petite voix de 12 décibels ? 

L’angoisse pesait sur ma vessie. J’étais heureusement assez lucide pour deviner que je n’arriverais pas à viser le cendrier. Plus encore dans le noir. 

Je gravais un message d’adieu à l’aide d’un trombone trouvé au fond de ma poche quand la cabine s’est remise en mouvement. Quelques instants plus tard, la porte s’est ouverte sur une silhouette qui a poussé un tel cri d’effroi en me découvrant que la moitié de la tour s’est précipitée à son secours. Y compris Bouli, pour le moins étonné de me voir là. Je lui ai arraché des mains son goûter, un gros pain au chocolat, que j’ai avalé sans mâcher. J’étais trop maigre pour ce monde, il était temps de passer aux choses graisseuses. 

 

 

* Corécipiendaire du Prix spécial de médiation 2023 de l’Office fédéral de la culture attribué à Roman d’école, www.romandecole.ch

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