Mobilité dure

Vincent Kohler

Dans une ville aux senteurs de lilas et de pissenlits, nimbée du doux parfum des cafés La Smeuz (nom d’emprunt pour ne pas faire de publicité) après une torréfaction matinale faisant concurrence au relents légers des purins enchanteurs et des effluves de gaz chimiquement acceptables, Madame Aeschlimann, 80 ans passés, se sentant curieusement plus légère après la disparition de son cher et tendre, vraiment très cher et plus très tendre, décida de prendre le bus pour aller rendre visite à sa vieille amie Jacqueline, atteinte d’une tumeur hélas détectée beaucoup trop tard, se développant de manière terriblement agressive : la solitude. La connerie.  

Clopin mais plus clopant, ayant arrêté il y a 10 ans, Mme Aeschliman s’arrêta à l’arrêt du bus. Casquée, genouillères, coudières, protège dents solidement arrimé à ses derniers chicots, armée de son simple sac à main ma foi aussi maigre que sa caisse de retraite, Mme Aeschlimann s’apprêta à affronter, non le gang de la 47 mais le conducteur du bus 304. 

Agitant avec courage sa main encore valide et pourtant tremblotante pour signaler sa frêle existence au conducteur qui ne possédait à peine plus que 0,3 % du potentiel cognitif de Bruce Willis, elle tenta de grimper dans l’énorme mastodonte qui finit par s’arrêter dans une longue plainte soufflante.  

Les portes à peine ouvertes,  le Mikael Schumacher des TRN – qui de toute évidence n’avait pas encore connu les joies du ski hors-piste – démarra pied au plancher, ne laissant à la jeune à peine le temps de s’accrocher à la dernière chose qui lui restait dans la vie, la barre du bus. Brinquebalant comme des bouteilles vides s’en allant finir leurs jours à la déchetterie de la vie, la vieille coriace, vitupéra tant et plus et finit par lâcher ce cri : « T’as eu ton permis à Monza, ducon ? » Mieux vaut avoir un arrêt du cœur qu’un arrêt de bus se dit-elle avant de sortir, sa petite tourte Forêt-Noire toute retournée par tant d’émotions. 

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